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Les mutations dans la région de Tchernobyl |
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Tribunal Permanent des Peuples (Vienne, 12-15 avril 1996) :
Je vais vous présenter un document ukrainien sur les mutations dans la région de Tchernobyl, filmé par M. Kouznetsov dans les années 90 dans différents Instituts de Kiev, de la région de Jitomir et dans la zone des 30 km d’exclusion.
Un botaniste :
"Nous nous trouvons à l’intérieur de la zone d’exclusion autour de la centrale de Tchernobyl. J’ai semé sur 25 mètres carrés des graines recueillies sur un seul pin. A présent ces petits arbres ont 4 ans. Vous voyez ici, sur cette petite surface, les 25 mutations connues dans le monde entier pour cette variété de pins : gigantisme, nanisme, dissymétrie de l’implantation des aiguilles, des branches, aiguilles anormalement longues, courtes, plumets, tout ceci vous le voyez ici". Il montre des détails de ces jeunes arbres.
Un vétérinaire :
"Nous sommes dans la région de Jitomir. Après l’accident de Tchernobyl, nous avons vu apparaître en nombre très augmenté des malformations dans les élevages : porcs à deux têtes, ici un veau dont tout l’arrière train est absent. Certaines de ces malformations conduisaient à des avortements précoces, d’autres animaux sont nés et n’ont vécu que quelques heures. Ici vous avez un veau à 3 cornes, ici un cheval qui n’a pas vécu."
Des médecins :
Lorsque nous avons examiné au microscope des biopsies prélevées chez des liquidateurs, nous avons vu d’énormes taches noires. Nous avons tout d’abord pensé qu’il s’agissait d’artefacts. Nous avons refait nos préparations. Il s’agissait de particules radioactives énormes, particules de Plutonium en particulier. Nous avons recherché dans la littérature, et les seules études que nous ayons trouvées sont des travaux expérimentaux allemands, pratiqués avec du Plutonium sur des lapins. Ici il s’agit de liquidateurs, de personnes vivantes. [1/1 000 000 ème de gr de plutonium inhalé suffit à provoquer un cancer]
Une sage-femme de Jitomir :
"A présent les femmes s’inquiètent lorsqu’elles sont enceintes. Les grossesses ne se passent pas très bien. Nous avons une forte augmentation des avortements spontanés, avec souvent des embryons très déformés. Les femmes saignent. Ici vous avez un enfant né prématurément. Il ne vivra sans doute pas. Nous l’avons mis dans une couveuse, vous voyez sur l’écran son rythme cardiaque très irrégulier et difficile. Il a sur le corps des taches rouges, des angiomes."
Le films se termine par des plans de dizaines de foetus et nouveau-nés malformés, sur la musique poignante du Kyrie d’un office des mezor orthodoxe.
J’aimerais également vous présenter les photos que m’a prêtées Adi Roche*, responsable de la "Fondation les Enfants de Tchernobyl" d’Irlande. Elles sont récentes, (fin 1995), et proviennent de Minsk. Vous avez un enfant né avec des malformations multiples des extrémités, de la face, du cerveau. Il est mort au bout de quelques mois. Un autre enfant né avec une anencéphalie, c’est à dire une absence de cerveau. Il mène une vie végétative et ses parents l’ont abandonné. Ici vous voyez un enfant né avec une malformation de la face en bec de lièvre traversant. On l’a intubé après opération, mais il n’a pas survécu. La petite Nastia, parfaitement normale sauf une amélie des deux jambes avec pieds bots, a pu être opérée avec succès en Irlande (fig 13 - 20).
13) Un instant de tendre intimité entre Natacha et sa maman. Natacha est en vie grâce à une opération réussie en Allemagne. (photo : Anatoly Kieshouk)
14) Intubation après une opération de malformations faciales multiples. Cette enfant est morte peu après l’opération. (photo Adi Roche)
15) Plus que quelques jours à vivre. Malformations multiples. (photo Adi Roche)
16) A l’âge de 5 ans en Biélorussie, les enfants retardés et malformés doivent obligatoirement quitter le service de pédiatrie pour le service de psychiatrie infantile, où ils ont peu de chances de survivre. (photo Adi Roche)
17) On opère les tumeurs aiguës. Aux amputations s’ajoute la chimiothérapie. La survie d’un handicapé est difficile dans un pays appauvri. (photo : Adi Roche)
18) Des malformations du cerveau et les anencéphalies ont doublé en Biélorussie depuis la catastrophe de Tchernobyl. (photo : Adi Roche)
19) 70 % des enfants cancéreux ont un pronostic acceptable. Les centres d’oncologie travaillent remarquablement bien en Biélorussie. (photo : Adi Roche)
20) La petite Nastya attend son départ pour l’Irlande, où elle subira de multiples opérations. (photo : A. Kleshouk)
Malgré les diagnostics prénataux pratiqués obligatoirement, et les recommandations des médecins aux parents, des enfants comme ceux-ci naissent chaque jour et sont souvent abandonnés après leur naissance, les parents ne pouvant faire face à ce désastre. Ceux qui survivent sont soignés en pédiatrie jusqu’à l’âge de cinq ans. Après 5 ans, ils sont transférés dans le service de psychiatrie infantile, où leur survie est très courte.
Pour terminer ce triste inventaire, j’aimerais vous présenter les photos d’une étude pratiquée par le Dr. Sloukvine sur des carpes, à l’Institut de Génétique du Professeur Rose Gontcharova à Minsk. Ancien responsable des piscicultures de Biélorussie, de Russie et de Lettonie, le Dr. Sloukvine suit une pisciculture industrielle située à 200 km de Tchernobyl. Tous les paramètres physiques et chimiques (nitrates, métaux lourds), de l’eau sont suivis très attentivement, car le rendement économique de ces piscicultures en dépend.
L’étang étudié reçoit une eau non contaminée, venant d’un lac situé en amont. Cependant le fond de l’étang a été contaminé par les retombées de Tchernobyl, en particulier le Césium 137. Un étang situé à 400 km de Tchernobyl en territoire non contaminé sert de contrôle.
Les reproducteurs sont des carpes marquées de 8 ans, qui vivent depuis 1986 dans l’étang contaminé. Leur teneur en radioactivité n’est pas énorme : 800 Bq/kg. Les oeufs prélevés dans les carpes femelles sont placés en incubateurs. Normalement, ces carpes fournissent environ 2.000.000 d’alevins. Ici, seuls 30% des oeufs recueillis éclosent et se développent. Les alevins sont élevés dans des étangs plats.
Au bout de 6 mois, les carpillons sont étudiés au moment où on les transfert dans les étangs d’hiver, plus profonds. 70% d’entre eux présentent des malformations macroscopiques plus ou moins grossières : La plus frappante est la couleur violette. Il s’agit d’une mutation récessive connue en Allemagne, mais autrefois très rare. Elle affecte une forte proportion des carpillons malformés. On note également : écailles plus petites, déformations ou absence des nageoires, réduction ou absence de l’opercule avec branchies à nu, absence des yeux, déformations ou même absence de la bouche, absence de pigment.
Une seconde étude a été pratiquée sur des alevins de 2 - 3 jours, prélevés dans le milieu contaminé et dans l’étang contrôle. Les aberrations chromosomiques ont été recensées dans les cellules oculaires. Elles ont doublé, voire triplé chez les alevins contaminés.
Une étude réalisée en fin de stade blastula du développement embryonnaire, a montré les mêmes résultats.
Diverses maladies ont également augmenté chez les carpes qui vivent dans des étangs contaminés : inflammation de la vessie natatoire, avec perte de l’équilibre, protozooses et helminthiases, infusoires de la peau, nécrose des branchies, rougeurs de la peau dues à des bactéries et des virus, pseudomonas. Il s’agit sans doute d’un trouble des mécanismes de défense naturels.
En conclusion, le Dr. Sloukvine et le Professeur Gontcharova estiment que ces hydrobiontes sont très sensibles à la radioactivité. Les carpes se nourrissent en fouissant dans les 5 premiers cm de vase du fond de l’étang. Étant donné que ce poisson n’a pas d’estomac pour accélérer la digestion, les aliments contaminés séjournent longtemps dans l’intestin, qui est très volumineux et occupe toute la cavité abdominale de la carpe.
Ces études dont tous les résultats n’ont pas encore été analysés seraient très intéressantes à poursuivre. Étant donné qu’il n’a obtenu aucun financement, le Dr. Sloukvine a dû les abandonner, n’ayant même plus de quoi payer l’essence de sa petite voiture pour se rendre à ces étangs situés à 200 km de son Institut de Génétique Animale.
Hier, à la Conférence de l’AIEA, dans la partie consacrée à l’Environnement, des orateurs ont affirmé qu’il n’y avait aucune conséquence des radiations sur l’eau. J’ai pris la parole et j’ai demandé : "Connaissez-vous l’étude du Dr. Sloukvine sur le développement des carpes dans des piscicultures d’État en Biélorussie, où 70% des alevins n’éclosent pas et où 70% des carpillons de 6 mois présentent des malformations morphologiques majeures apparentes" ?
L’orateur m’a répondu : "Il s’agit d’un problème très complexe. Lorsque l’on étudie la radioactivité, il faut tenir compte de l’humidité etc." Or je parlais de l’étang d’une pisciculture industrielle ! C’était ridicule ! Le Président de séance, se rendant compte de l’effet déplorable de cette réponse, a réagi : "Je ne crois pas qu’il ait vraiment été répondu à la question posée". Un académicien est rapidement intervenu, signalant que des études étaient en cours, que pour l’instant aucun résultat ne permettait de conclure à une augmentation des malformations, que les études devaient continuer. Bien entendu, ni le Dr. Sloukvine ni le Professeur Gontcharova n’avaient été invités à présenter leurs résultats à la conférence de l’AIEA.
Le jour précédent, il avait été question des conséquences sur la santé. L’orateur a déclaré qu’il n’y avait aucune atteinte génétique. Ils nous ont même dit : "Il est impossible de mettre en évidence une modification des anomalies génétiques, étant donné qu’il n’existe pas de registre antérieur".
Il s’agissait d’un mensonge caractérisé. En effet, le Professeur Lazjouk de Minsk gère un registre des malformations depuis 1982, soit 4 ans avant la catastrophe de Tchernobyl (fig. 46). Il a noté une augmentation significative de quatre malformations majeures chez les enfants : en particulier l’amélie, la polydactylie, l’anencéphalie, des photographies que vous pouvez voir devant vous (fig. 13 - 20). Le Professeur Lazjouk n’a pas été autorisé à intervenir à la Conférence de l’AIEA.
Pour terminer, j’aimerais vous lire un extrait du rapport de l’OCDE de novembre 1995, qui a plusieurs fois été cité au cours de la conférence de l’AIEA, en particulier, par le Professeur Lee de l’Université de St. Andrews en Ecosse, expert de l’UNESCO, pour confirmer le fait que les radiations ne nuisent pas à la santé. Ce rapport a été rédigé par une équipe dont le rapporteur était M. Henri Métivier de l’Institut de Protection et de Sécurité Nucléaire (IPSN) France**
Le rapport déclare en particulier : "Des examens médicaux très exhaustifs ont abouti à la conclusion qu’aucune anomalie sur le plan de la santé ne pouvait être attribuée à l’exposition aux rayonnements". Et plus loin : "En conclusion... l’accident de Tchernobyl ne devrait pas être considéré comme l’accident de référence".
La vidéo que nous venons de voir, les photographies d’enfants malformés et l’étude des poissons ne sont que des exemples qui montrent le cynisme de telles déclarations, dont j’estime qu’elles sont véritablement criminelles. Nous devons refuser que des soi-disant experts continuent à nier l’évidence, simplement pour prolonger encore un peu de temps la vie d’une industrie nucléaire absolument incompatible avec un développement soutenable.
Solange Fernex,
Tchernobyl, conséquences sur l’environnement, la santé, et les droits de la personnes,
Vienne, 12-15 avril 1996,
Tribunal Permanent des Peuples,
Commission Médicale International de Tchernobyl.
http://www.dissident-media.org/infonucleaire
infonucleaire
Création de l'article : 5 octobre 2006
Dernière mise à jour : 29 septembre 2006
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P.S.
*Adi Roche a créé, en 1991, la "Fondation les Enfants de Tchernobyl" d’Irlande qui vient en aide aux enfants victimes de la catastrophe de Tchernobyl. Le film "Tchernobyl - L’héritage d’une catastrophe"de 39 mn en RealVideo 33kb montre son action et les maladies qui ravagent les plus petits.
** "Tchernobyl dix ans déjà. Impact radiologique et sanitaire". OCDE Paris, novembre 1995. Ce rapport a été rédigé par M. Peter Waight (Canada) sous la direction d’un Comité de Rédaction présidé par M. Henri Métivier (France) et composé de : Dr. H. Métivier (IPSN, France), Dr. P. Jacob (GSF, Allemagne), Dr. G. Souskevitch (OMS, Genève), M. H. Brunner (NAZ, Suisse), M. C. Viktorsson (SKI, Suède) Dr. B. Bonnet (UNSCEAR, Vienne), Dr. R. Hance (FAO/AIEA, Vienne), M. S. Kumasawa (JAERI, Japon), Dr. S. Kusumi (Japon), Dr. A. Bouville (NCI, USA), Dr. J. Sinnaeve, (UE, Bruxelles), Dr. O.P. tari (OCDE/ARN, Paris), et Dr. E. Lazo (OCDE/AEN, Paris).
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