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La poudre aux yeux de l’évaluation des OGM |
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dans Le Monde Diplomatique N°632, novembre 2006
Par Aurélien BERNIER
Tout internaute visitant le site interministériel du gouvernement français consacré aux organismes génétiquement modifiés (OGM) peut découvrir, dans une rubrique intitulée « Évaluer un OGM avant sa mise sur le marché », le paragraphe suivant : « L’analyse des risques pour la santé et l’environnement est l’élément fondamental et préalable à toute autorisation de mise sur le marché d’OGM. Elle est fondée sur des éléments scientifiques pertinents et pluridisciplinaire, et est confiée à des comités d’experts indépendants [1]. » Si cette page subissait le test du détecteur de mensonges, les ordinateurs connectés biperaient à répétition. Ce discours se heurte en effet à la réalité de l’évaluation des OGM, dont toute l’histoire montre qu’elle n’est, dans le meilleur des cas, que poudre aux yeux.
Apparue durant la seconde moitié du vingtième siècle, la transgénèse est une technologie profondément nouvelle puisqu’elle permet, pour la première fois, d’insérer artificiellement dans une cellule une construction génétique étrangère. Or, de telles applications sur des êtres vivants posent des questions sanitaires et environnementales, sans parler de considérations éthiques, qui obligent à mettre en place une évaluation spécifique de leurs impacts. Pourtant, il n’en a jamais rien été.
Aux Etats-Unis, pays pionnier en matière de manipulations génétiques, les propositions de loi visant à contrôler politiquement le développement des biotechnologies apparaissent à la fin des années 1970 [2]. Certaines d’entre elles proposent de créer des commissions de régulation ad hoc. Mais le Congrès prend rapidement une première décision lourde de sens : les agences fédérales existantes [3], dans le cadre des réglementations en vigueur, suffiront à organiser la régulation. Le 26 juin 1986, le président Ronald Reagan signe un ensemble de règles connues sous le nom de « Coordinated Framework for Regulation on Biotechnology Policy » (Cadre de coordination de la réglementation de la politique des biotechnologies) qui ouvrent la voie à la dissémination des OGM en consacrant le principe de l’« équivalence en substance » : les produits transgéniques, comparés aux produits non transgéniques équivalents sur la seule base de leur composition (nutriments présents, substances toxiques ou allergènes), ne seront soumis à aucune réglementation spécifique. Les autorités américaines décident donc d’ignorer les méthodes de production des OGM et leurs conséquences éventuelles sur l’environnement et sur l’alimentation.
Cette démarche constitue une véritable aberration scientifique. En n’étudiant que les changements planifiés, on ne peut identifier, par exemple, une possible interaction entre la protéine fabriquée par le nouveau gène et d’autres protéines de l’organisme. Or c’est un mécanisme de cette nature qui est à l’origine de l’encéphalite spongiforme bovine (ESB), plus connue sous le nom de maladie de la « vache folle », et de la maladie de Creutzfeld-Jacob. L’exemple tragique de la Tryptophane aurait par ailleurs dû suffire à disqualifier la notion fondatrice de la législation américaine : la production de cette molécule d’intérêt thérapeutique, à partir d’une bactérie génétiquement modifiée autorisée par l’Agence pour la sécurité des aliments et des médicaments (FDA), sur la base de l’équivalence en substance, a provoqué en 1989 une épidémie qui a occasionné trente-sept décès et la paralysie à vie de mille cinq cent personnes [4]. Ce qui n’empêche pas cette façon de procéder de perdurer aujourd’hui encore en Amérique du Nord [5].
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Notes
[1] http://www.ogm.gouv.fr/savoir_plus/....
[2] Les références historiques sont issues d’une étude de Damien de Blic intitulée « L’intervention des acteurs sociaux dans le processus décisionnel des organisations internationales. Une approche sociologique à partir de deux études de cas », disponible au Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles.
[3] United States Department of Agriculture - USDA ( ministère de l’agriculture) ; Food and Drug Administration - FDA (Agence pour la sécurité des aliments et des médicaments) ; Environmental Protection Agency - EPA (Agence de protection de l’environnement).
[4] Consulter à ce sujet le site Seeds Of Deception : http://www.seedsofdeception.com/.
[5] Les principes mis en œuvre aux États-Unis pour encadrer les biotechnologies furent rapidement copiés par le Canada. A ce sujet, voir le site de Biotech Action Montréal : http:///bam.tao.ca.
Auteurs divers
Création de l'article : 6 novembre 2006
Dernière mise à jour : 6 novembre 2006
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