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Compte-rendu du procès de Marmande |
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C’est dans une salle d’audience bondée -environ cent cinquante personnes venues soutenir les plaignants et une dizaine aux côtés du transgéniculteur Claude Ménara- que s’est déroulé le procès de Marmande le 5 avril 2007. Celui-ci était assigné en référé par un apiculteur, Mr Coudoin, et plusieurs associations (Confédération Paysanne, Civam bio 47, Bio d’Aquitaine, Fédération Nationale des Agriculteurs Biologiques des régions de France, Syndicat National d’Apiculture, Groupement de Défense Sanitaire Apicole 47), avec demande d’interdiction de semer du maïs OGM en 2007 suite au constat de contamination des ruches de l’apiculteur par le maïs génétiquement modifié qu’il avait semé en 2006.
L’avocate de Claude Ménara, Me Le Prat, a débuté sa plaidoirie en demandant l’irrecevabilité de l’assignation de certaines associations (Civam bio 47, Bio d’Aquitaine, FNAB et GDSA 47). Selon elle, en effet, l’absence de mention de la défense de l’intérêt des personnes dans les statuts de ces associations plaignantes constitue un motif d’irrecevabilité de leur demande d’assignation. De plus, Mr Coudoin ne serait pas lui-même officiellement apiculteur, mais seulement époux d’une apicultrice déclarée et possédant une carte professionnelle.
Me François Roux, avocat des plaignants, a alors évoqué « l’absence de conclusion distincte de la demande d’irrecevabilité » qui lui avait été fournie par fax à 21h30 seulement la veille au soir. Il a précisé que Mr Coudoin est officiellement déclaré comme « conjoint participant aux travaux » et que, lorsque la Direction Générale de la Répression des Fraudes adresse un courrier concernant la contamination des ruches par les OGM, elle le fait au nom de « Me et Mr Coudoin, apiculteurs ». D’autre part, les associations plaignantes disposent bien dans leurs statuts de mentions leur permettant d’ester en justice puisque à l’Article 3 des statuts de Bio d’Aquitaine il est dit « et tout autre moyen que le CA juge nécessaire de mettre en œuvre », que le CIVAM BIO, le Groupement de Défense Sanitaire Apicole (GDSA), et la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) disposent des mêmes mentions dans leurs statuts. La FNAB par ailleurs est si souvent présente dans des procédures, qu’il est curieux, a fait remarqué Me Roux, qu’aucun tribunal n’ait à ce jour découvert encore ce stupéfiant argument pour la déposséder de son droit d’ester en justice. Il est vrai, a t’il ajouté, qu’à l’Article 5 paragraphe 11 de ses statuts, il est indiqué « utiliser tous les moyens non interdits par la loi pour... ». Me Roux ne s’est pas privé de rappeler que lors des nombreux procès des faucheurs, les tribunaux ont constamment signifié aux prévenus que leurs actes n’étaient pas justifiables puisqu’ils disposaient de moyens légaux d’agir. « Il serait donc très malvenu que ce tribunal refuse aux associations le droit d’ester en justice que la justice les presse si instamment d’utiliser. »
Après cette petite mise au point, Me Roux a débuté sa plaidoirie en la plaçant dans le cadre des Articles 808 et 809 du Code de Procédure Civile. « Vous n’allez pas aujourd’hui assister à un débat de fond sur les OGM ni trancher le moratoire...vous allez devoir trancher sur un sujet grave, l’action de Mr Ménara. » Pour mémoire, il a rappelé que, suite aux déclarations de Mr Ménara sur ses cultures de maïs transgénique, les associations plaignantes sont allées le voir et lui ont proposé de mener une expérience contradictoire afin de vérifier si ses cultures contaminaient ou pas les cultures voisines ou les ruchers. Il a refusé. L’expérience a donc été menée sans lui et a donné lieu à des résultats catastrophiques puisqu’il a été constaté en présence d’huissier que le pollen de ruches distantes (jusqu’à 1200m) était contaminé à plus de 30% dans certains cas. « Comment affirmer suite à cela que la coexistence est possible ? » a lancé Me Roux. Pourtant, les associations ont appris à la suite par voie de presse que Mr Ménara non seulement n’avait pas tenu compte des résultats de cette expérience, mais annonçait qu’il allait semer le double de maïs transgénique en 2007, c’est à dire 200 ha. Les associations ont alors attendu du gouvernement la mesure que la sagesse imposerait, à savoir le moratoire, mais en vain. A l’approche des semis, elles ont alors décidé d’assigner Mr Ménara en référé car « nous sommes là face à un danger imminent et vous pouvez et devez Me la Juge, intervenir » a déclaré Me Roux.
Il a tenu aussi a replacer cette intervention dans son contexte, à savoir « l’énorme opération financière de quatre grandes multinationales qui détiendront dans leurs mains l’alimentation mondiale » si elles parviennent à leurs fins, les OGM n’étant que le cheval de Troie leur permettant ensuite de déployer l’arsenal des nanotechnologies. Les assurances, les premières, ont compris les risques de catastrophe sanitaire inhérents à cette stratégie et elles se sont donc retirées en refusant de couvrir les cultures OGM. D’ailleurs, le contrat de Mr Ménara signé le 2 avril avec la Coopérative Terres du Sud illustre cela. Il ne comprend pas de nom ni fonction du représentant de la coopérative ayant signé (le 02/04), pas de numéro de parcelles. De plus, il y est explicitement stipulé que le producteur informe les exploitants des parcelles limitrophes cultivées en maïs de sa volonté de cultiver du maïs GM et s’assure de l’absence de production de maïs doux, semences, waxy ou bio dans un rayon correspondant aux cahiers des charges de ces différentes productions. Par ailleurs il est rappelé au producteur de maïs GM, sa responsabilité vis à vis de préjudices subis par des productions voisines, au cas ou ces productions présenteraient des teneurs d’OGM supérieures à celles admises par leur cahier des charges.
C’est donc Mr Ménara et lui seul qui est responsable en cas de contamination. Mr Ménara devrait donc avoir souscrit une assurance en cas de dommages à des tiers. Or, il n’a fourni aucun contrat d’assurance. Rien de surprenant en fait puisque Groupama a pris la peine d’envoyer une lettre à tous ses adhérents agriculteurs pour les avertir que le groupe ne couvre pas le risque OGM. « A la place de Mr Ménara, je me ferais du soucis avec un tel contrat », ironise Me Roux. D’autre part, Mr Ménara n’a pas fourni la moindre preuve qu’il aurait averti ses voisins agriculteurs et les associations d’agriculture biologique qu’il semait des OGM, ni surtout qu’il ait pris la précaution exigée par son contrat de s’assurer de l’absence de production de maïs doux, semences, waxy ou bio dans un rayon correspondant aux cahiers des charges de ces différentes productions. Enfin il a déclaré à la presse qu’il allait semer 200ha, alors que l’on ne trouve trace dans ses contrats que de 48ha, sans aucune indication cadastrale de leur emplacement. Où sont passés les autres ha ? « Il n’y a jamais moyen de savoir la vérité avec les transgéniculteurs » a déploré l’avocat.
Me Roux a ensuite évoqué la position extrêmement problématique dans laquelle se trouvent plongés les apiculteurs : « Mon cahier des charges m’impose de transhumer, mais je ne sais pas où sont les OGM. Mon expérience a démontré la contamination. Par conséquent le danger est prouvé mais je n’ai pas les moyens de m’y soustraire. » a-t-il résumé. Selon les conclusions de Mr Ménara, le dommage imminent est contesté et « il appartient à Mr Coudoin de prendre lui même des dispositions ». Me Roux a rappelé : « Mr Ménara a parfaitement le droit de semer des OGM chez lui, à condition qu’il puisse prouver qu’il ne contamine pas. De quel droit pourrait-il mettre en danger l’activité professionnelle d’autrui ? Le seul argument qu’avance Mr Ménara est qu’il était là « avant » Mr Coudoin, ce qui selon Me Roux est faux puisqu’il ne cultive des OGM, objets du litige, que depuis 2005, alors que l’apiculture existe depuis des centaines d’années et que Mr Coudoin a une autorisation légale et une obligation contractuelle de transhumance dans l’ensemble du département du Lot et Garonne depuis de nombreuses années. On voit bien que l’on a affaire ici à un trouble du voisinage caractérisé. Sur l’imminence du danger, la jurisprudence rappelle d’ailleurs qu’il peut s’agir d’un trouble potentiel susceptible de se produire à n’importe quel moment ».
Me Roux en a alors appelé au rôle du juge des référés, en signalant que si Me la Juge bottait en touche cela signifierait qu’il n’y a pas de justice pour les plus « petits », petits paysans ou apiculteurs.
L’avocat du Syndicat National de l’Apiculture a alors pris la parole pour expliquer que Mr Ménara possède bien une licence mais n’est pas propriétaire du maïs MON 810 qu’il sème : celui-ci appartient à Monsanto. Il s’agit donc de la défense des intérêts économiques d’une grande firme contre la défense des intérêts économiques des apiculteurs.
Ensuite il a contesté l’affirmation de la partie adverse selon laquelle le pollen serait un produit animal et ne nécessiterait donc pas d’étiquetage informant le consommateu de la présence d’OGM. Le produit fabriqué par les abeilles qui sert à agréger le pollen ne modifie pas la nature végétale du pollen : il s’agit d’un « conservateur » naturel. Par conséquent le pollen est bien soumis à obligation d’étiquetage s’il contient des OGM afin d’avertir le consommateur. Cela induit un surcoût significatif pour l’apiculteur qui doit alors assumer le coût de tests pratiqués par un laboratoire spécialisé ou bien se former lui-même au dépistage et donc payer sa formation : ce surcoût n’est pas assumé par Mr Ménara. Par ailleurs, le consommateur préfère acheter un produit sans OGM. Le miel est utilisé dans certains hôpitaux en chirurgie pour la cicatrisation : à cette fin il ne doit pas contenir d’OGM. Les semis de maïs transgénique ayant lieu en Avril, il y a donc bien urgence à régler cette question des surcoûts et de la perte potentielle de marchés, endossés par les apiculteurs.
L’avocat a aussi évoqué le principe de précaution contenue dans la Charte de l’Environnement : si une partie du pollen tombe dans les trappes disposées à cet effet à l’entrée de la ruche, une autre partie néanmoins demeure sur les pattes de l’abeille et donc pénètre dans la ruche. Ce pollen contenant des OGM eux mêmes à base d’insecticide va servir à nourrir les larves. Qu’adviendra-t-il des larves nourries de cette façon générations après générations ? Quelle durée de vie auront ces abeilles ? L’enseignement de la tragédie de la vache folle devrait nous rendre circonspects sur les risques inhérents au fait de nourrir des animaux ou des insectes avec une nourriture non naturelle, ici contenant un gène codant pour un insecticide.
C’est pourquoi une requête a été adressée à Mr Ménara demandant une expertise sur la nourriture des larves : pour la deuxième fois, celui-ci a refusé une expérience au prétexte de l’Article 146 du RCPC. Mr Ménara a donc clairement un problème de transparence vis à vis du voisinage, a conclu l’avocat. Il s’est alors tourné vers la Juge pour lui suggérer de demander à Mr Ménara de ne pas pratiquer ses semis à titre conservatoire, puisqu’il lui est possible de prendre une décision sur un risque hypothétique. « Cela contribuerait à la pacification du débat », a t’il ajouté. Il a enfin clos sa plaidoirie en invitant à s’inspirer des abeilles : « une ruche bien organisée permet à chacun de travailler sans nuire à son voisinage ».
C’est alors que la défense a entrepris un long et laborieux plaidoyer destiné à présenter Mr Ménara, « un symbole » dira l’avocate, comme la victime d’un acharnement.
Comment invoquer « l’urgence » alors que la pollénisation a lieu en Juillet, que l’expérimentation a eu lieu en juillet 2006, et que les plaignants avaient dés Septembre 2006 l’opportunité d’assigner Mr Ménara en référé, mais qu’ils ont attendu Avril 2007 ? « L’Article 808 n’est donc pas applicable » affirme l’avocate.
Par ailleurs, l’étude vérifiée par huissier et fournie à Mr Ménara pose problème dans sa méthodologie même : en effet, les conditions de pollenisation étaient anormales. « Les ruches disposées intentionnellement à proximité des cultures OGM de Mr Ménara étaient affamées. » Contrairement à ce qui a été affirmé, « le pollen pourrit très vite et doit être impérativement récolté tous les deux jours ». Les analyses font état de deux lots contaminés et d’un lot non contaminé. Le laboratoire n’a pas utilisé les bonnes normes d’analyse. Les abeilles ne récoltent pas que du pollen de maïs. Or on ne connaît que la part de pollen de maïs OGM, mais aucun résultat ne permet de connaître la part de pollen OGM dans le pollen total. La conclusion de l’étude n’apporte donc pas la preuve d’un dommage. L’étiquetage est obligatoire au-delà de 0,9%, mais ici on ne sait pas quel est le taux d’OGM dans le pollen total. Les pièces versées au dossier ne contiennent d’ailleurs pas de « refus d’achat de ce pollen ». Les demandeurs n’ont donc souffert aujourd’hui d’aucun préjudice. Les abeilles ne vont d’ailleurs pas spontanément sur le maïs : elles n’y vont que lorsqu’il n’y a rien d’autre à manger. L’apiculteur a donc la possibilité de déplacer ses ruches, de choisir son site et Mr Coudoin avait tout loisir de disposer ses ruches ailleurs que près des champs de Mr Ménara.
« Il n’y a donc pas de dommage mais même si l’on retenait le dommage, il ne s’agit pas d’un dommage subi mais d’un dommage recherché. » Les ruches ont été intentionnellement disposées là.
« Les troubles anormaux de voisinage s’appuient sur le constat du dépassement d’un certain seuil de nuisance. Or, ici, aucune démonstration n’est faite d’un quelconque dommage ou d’une quelconque nuisance. » En milieu rural, certaines nuisances sont incontournables comme les nuisances olfactives des porcheries. On ne peut ici parler de nuisance persistante puisque la pollénisation n’a lieu qu’une semaine dans l’année. Elle semble de plus aléatoire puisque toutes les ruches de l’expérience n’ont pas été contaminées. Mr Ménara prend en plus toutes les précautions, puisqu’il plante plusieurs rangées de maïs non OGM qui constituent une « zone tampon » isolant son champ des autres champs. Une étude produite en Lot et Garonne faisait état des résultats excellents de ce type de zone.
À ce moment l’avocate a asséné une nouvelle théorie, celle de la pré-occupation : le fait que Mr Ménara se trouvait là « avant ». Et pour donner à voir le sens de cette théorie elle a usé de la comparaison suivante : « Un agriculteur bio qui vient s’installer près d’une autoroute ne va pas demander la fermeture de celle-ci au prétexte qu’il veut faire du bio. »
Selon elle, dès lors que le trouble a été recherché, la victime ne peut s’en prévaloir.
Quant à la demande d’expertise du S.N.A., « elle ne peut pas pallier à la carence en preuves du dossier. Suffisamment d’études scientifiques ont déjà été diligentées sur le sujet, sans que l’on ait besoin d’une nouvelle expertise. » Il n’y a pas lieu à expertise comme demandé par l’avocat du S.N.A., car les preuves ne sont pas apportées que le cheptel apicole est exposé à un risque. Si cela avait été le cas le S.N.A. aurait du se tourner vers le service régional de la protection des végétaux.
L’instrumentalisation du cas de Mr Ménara pousse donc celui-ci à demander une condamnation à 5000 euros pour préjudice moral de procédure abusive et 5 000 euros pour les frais de justice.
Me Roux a alors repris brièvement la parole pour s’étonner de découvrir la « pré-occupation », un terme du vocabulaire juridique qu’il ignorait et pour demander si les abeilles pouvaient bien être impressionnées par une « barrière pollinique » de 30m quand on sait qu’elle voyage à plus de 16km à la ronde. Plus sérieusement toutefois, il a signalé que Mr Coudoin est installé depuis plus longtemps que Mr Ménara, que son cahier des charges l’oblige à transhumer, qu’il est impossible de réutiliser du maïs contaminé, même à 0,3%, pour ressemer, et « comment donc plaider que les agriculteurs qui vivent là n’ont pas le droit de maintenir leur exploitation ? ». Aussi qu’il y avait confusion de la défense : « à aucun moment il n’a été question d’une demande de préjudices sur l’expérience », a-t-il fait remarqué. Il a noté que pas un seul mot n’avait été prononcé sur le contrat de Mr Ménara et rappelé que les cahiers des charges de la bio stipulent actuellement 0% d’OGM.
La juge n’a fait aucun commentaire et a simplement déclaré : « le rendu aura lieu le 24 Mai ». C’est à dire après les semis et après les élections.
Hors du tribunal, Me Roux a commenté cette décision en disant : « ce que l’on apprend avec ce jugement aujourd’hui, c’est que la justice clame que les faucheurs peuvent avoir recours aux procédures d’urgence, c’est à dire aux référés, plutôt que de faucher, mais lorsque l’on saisit en référé, on n’obtient pas d’ordonnance en référé répondant à l’urgence de la situation. »
Mr Ménara a quant à lui déclaré que ce qu’il faisait était totalement légal et qu’il allait semer comme prévu.
Pour Patrick De Kochko (agriculteur bio dont la production de soja a été contaminée il y a bientôt dix ans), vu le risque avéré et sa reconnaissance par la coopérative qui en rejette la responsabilité sur le producteur, et vu l’absence d’assurance pour ce risque, le juge pourra-t-elle prononcer une demande de destruction pour prévenir les dommages imminents ou bien devrons-nous faire une deuxième demande d’assignation pour demander cette destruction ?
Sylvette Escazaux, le 6 Avril 2007
Collectif Anti-OGM 66
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Auteurs divers
Création de l'article : 19 avril 2007
Dernière mise à jour : 19 avril 2007
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