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Les mycotoxines dans l’agriculture |
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I- Généralités
Les mycotoxines sont des métabolites secondaires produits par les champignons (grec mycos) qui colonisent les cultures. Les mycotoxines constituent un important problème de régulation internationale à cause de leurs effets toxiques et carcinogéniques chez l’homme et les animaux. En effet, ces toxines peuvent être responsables de cancers et leurs concentrations dans les grains sont contrôlées pour des raisons évidentes de santé publique. Par exemple, les mycotoxines produites par Fusarium comme le déoxynivalénol (DON), constituent les contaminants les plus importants de la chaîne alimentaire et sont directement liées à la santé humaine et à l’économie. A ce titre, elles sont considérées comme des contaminants inévitables des aliments puisque les meilleures technologies disponibles ne peuvent pas complètement éliminer leur présence des aliments (CAST, 2003).
Les dommages causés par les insectes sont un des facteurs qui prédispose le maïs à la contamination par les mycotoxines, parce que les insectes créent des lésions au niveau du grain qui favorisent la colonisation fongique, et les insectes eux-mêmes servent de vecteurs aux spores fongiques (Sinha, 1994 ; Wicklow, 1994 ; Munkvold & Hellmich, 1999). Par conséquent, toute méthode qui réduit les dommages provoqués par les insectes au maïs réduit aussi les risques de contamination fongique. Il faut souligner aussi que les conditions de conservation des grains jouent un rôle important dans la production de ces toxines et que les différentes variétés de plantes présentent une résistance variable à ces souches fongiques.
Par ailleurs, le rôle des itinéraires culturaux dans l’accumulation de mycotoxines est mal connu et l’occurrence de mycotoxines dans les céréales produites par des méthodes biologiques ou conventionnelles est sujette à controverse (Pascale et al. 1998, Champeil et al. 2004, D’Egidio et al. 2006). Jusqu’ici, on ne peut pas conclure qu’un type de culture conduise à des risques accrus de contamination par les mycotoxines (Avantaggiatoa et al. 2007). Pourtant, des preuves s’accumulent lentement et montrent que les systèmes de production biologique renforcent les défenses immunitaires des animaux et la résistance des végétaux aux maladies : ainsi, Champeil et al. (2004) observent une diminution de moitié du nombre de mycotoxines sur les cultures biologiques et un accroissement de la durée de conservation des végétaux.
II- Les mycotoxines dans le maïs
Les mycotoxines sont des toxines produites par les champignons qui vivent sur les grains, en particulier sur les céréales. Ces champignons communément appelés moisissures appartiennent aux genres Fusarium (les toxines sécrétées sont alors appelées fumonisines) ou Aspergillus , en particulier A. flavus (les toxines sont alors appelées aflatoxines) : ces mycotoxines sont les plus importantes en agriculture. Les fumonisines sont trouvées presque exclusivement dans le maïs, alors que les aflatoxines sont détectées dans une variété de cultures comprenant le maïs, coton, arachides, pistaches, amandes, et noix (Robens & Cardwell 2003). Les fumonisines sont produites par le champignon Fusarium verticillioides (avant F. moniliforme ) et Fusarium proliferatum (IARC, 2002). Elles ont d’abord été découvertes en 1988 en relation avec deux événements dans deux parties différentes du monde : un taux élevé de cancers oesophagiens humains au Transkei, Afrique du Sud et un taux de mortalité inhabituellement élevé des chevaux et de porcs aux Etats-Unis (Marasas, 1996). Maintenant, plus de 28 types de fumonisines ont été isolées et caractérisées autour du monde, parmi lesquelles la fumonisine B1 (FB1) est la plus commune dans le maïs (Rheeder et al. 2002).
La consommation de fumonisines a été associée avec une incidence élevée de cancers oesophagiens humains dans plusieurs parties d’Afrique, Amérique Centrale, et Asie (Marasas et al., 2004) et parmi la population noire de Charleston, Caroline du Sud (Sydenham et al., 1991). Parce que la FB1 réduit l’absorption du folate dans différentes lignées cellulaires humaines, la consommation de fumonisines a été impliquée dans les pathologies liées au défaut du tube neural chez les bébés humains (Hendricks, 1999 ; Marasas et al., 2004). Aucun cas confirmé de toxicité aigüe des fumonisines chez les humains n’a été décrit (Wu 2006). Elles peuvent cependant être hautement toxiques pour les animaux, provoquant des maladies telles que leukoencéphalomalacie équine chez les chevaux et oedème pulmonaire porcin (PPE) chez les porcs (Ross et al. 1992).
Les aflatoxines sont produites par le champignon Aspergillus flavus et Aspergillus parasiticus , et sont les plus puissants produits carcinogènes hépatiques connus. Une aflatoxicose aiguë, caractérisée par une hémorragie, des lésions hépatiques aiguës, oedème, et potentiellement la mort, peut résulter de doses extrêmement élevées d’aflatoxines. Plus communs sont les effets sanitaires associés à des niveaux chroniques faibles à modérés de consommation d’aflatoxines. Chez les gens infectés par l’hépatite B et C (commune en Chine et Afrique sub-Saharienne), la consommation d’aflatoxines accroît de plus de dix fois le risque de cancer hépatique (Miller & Marasas, 2002).
Les aflatoxines provoquent un ensemble de pathologies animales aussi. Chez les volailles, la consommation d’aflatoxines aboutit à des lésions hépatiques, une productivité amoindrie, une production d’œufs diminuée chez les poules, une qualité inférieure des coquilles d’oeufs, une qualité inférieure des carcasses, et une susceptibilité accrue aux maladies (Wyatt, 1991). Chez les bovins, les symptômes principaux sont un gain de poids réduit, des lésions hépatiques et rénales, et une production de lait réduite (Keyl, 1978).
III- Les facteurs prédisposant à l’accumulation de mycotoxines
Au champ, les aliments végétaux peuvent être contaminés par des champignons producteurs de toxines, mais la formation de toxines peut aussi avoir lieu après la récolte. Certains fongicides réduisent le nombre de champignons producteurs de toxines mais d’autres aspects de l’agriculture conventionnelle, comme une plus grande disponibilité de l’azote, réduisent l’aptitude des plantes à lutter contre ces pathogènes. D’après le récent rapport de la FAO, les cultures biologiques permettent une diminution de 50% de la fréquence des concentrations toxiques de mycotoxines sur un large éventail de climats, etc. (Benbrook 2005).
La contamination par des toxines naturelles produites par des micro-organismes peut être prévenue par :
l’élimination des micro-organismes avant qu’ils n’aient produits de toxines, à la fois dans le champ et après la récolte ;
la conservation de la nourriture sous des conditions où ces organismes ne produisent pas de toxines après la récolte/abattage.
- En pré-récolte
Plusieurs facteurs différents peuvent prédisposer le maïs à la croissance fongique et à l’accumulation de mycotoxines. En pré-récolte, des températures élevées ou fluctuantes, un stress lié à la sècheresse, une incompatibilité de l’hybride de maïs dans la région dans laquelle il est planté, et des lésions d’insectes augmentent les taux de mycotoxines (Shelby et al., 1994 ; Wicklow, 1994). Comme la sécheresse augmente les dommages liés à l’herbivorie des insectes sur le maïs, il n’est pas réellement possible de séparer ces deux facteurs (Miller, 2001). Notamment, les lésions d’insectes sont universellement reconnues comme facteur collatéral du développement de mycotoxines. Les insectes ravageurs créent des lésions du grain et agissent comme vecteurs de certains types de spores fongiques (Sinha, 1994 ; Wicklow, 1994 ; Munkvold & Hellmich, 1999).
Là et seulement là où les insectes ravageurs sont présents, le maïs Bt contiendrait des taux moindres de certaines mycotoxines que les lignées non-Bt. Le maïs attaqué par les insectes foreurs (pyrale) est donc susceptible d’une accumulation de mycotoxines lors de la conservation (Sinha, 1994). Aussi, dans la mesure où le maïs Bt présente des niveaux moindres de lésions d’insectes, il contrôle indirectement l’un des plus importants facteurs prédisposant à l’accumulation de mycotoxines. Dans une étude publiée (Dowd, 2001), les réductions les plus fortes des taux de fumonisines dans le maïs Bt se produisaient quand la pyrale était l’insecte ravageur prédominant ; là où d’autres ravageurs étaient prédominants, les réductions des taux de fumonisines dans le maïs Bt étaient moins significatives. Dans ces conditions, les concentrations de fumonisines dans les grains de maïs Bt étaient souvent inférieures à 4 mg/kg, avec une proportion significative en dessous de 2 mg/kg.
Comparé au cas des fumonisines, les lésions causées par les insectes ravageurs sont moins fortement corrélées avec les concentrations d’aflatoxines dans le maïs, car de multiples facteurs prédisposent le maïs à l’accumulation de cette mycotoxine. Par exemple, les insectes lépidoptères qui sont contrôlés par la protéine cristalline dans les hybrides Bt existants ne sont pas aussi importants dans la prédisposition des plantes à l’infection par A. flavus qu’ils le sont pour F. verticillioides et F. graminearum . De plus, A. flavus peut infecter le maïs non seulement par les lésions aux grains causées par les insectes, mais aussi par les soies. Cela pourrait expliquer pourquoi l’effet du maïs Bt sur la concentration d’aflatoxines n’est pas aussi important.
En effet, des essais au champ sur la réduction d’aflatoxines dans le maïs Bt montrent des résultats contrastés. Dans différentes régions des Etats-Unis, le maïs Bt peut avoir ou pas de taux d’aflatoxines inférieurs à leurs contreparties non Bt, en fonction du type d’insectes et des conditions d’infection du maïs. Ainsi, la relation entre le maïs Bt et la réduction d’aflatoxines dépend de la technique d’inoculation par A. flavus (Williams et al. 2002) : si les grains sont inoculés par une technique avec lésions (aux grains), les taux d’aflatoxines entre le maïs Bt et non-Bt ne sont pas différents. D’autres études ne montrent aucun effet significatif du maïs Bt, ou des résultats contrastés. Par exemple, alors que le Bt11 et MON810 avaient significativement moins de lésions que le maïs non-Bt, il n’y avait aucune différence significative des taux d’aflatoxines entre les deux groupes (Buntin et al. 2001). Les auteurs concluent que d’autres facteurs, tels qu’un stress hydrique et la vulnérabilité individuelle de l’hybride, étaient plus importants pour déterminer les niveaux de contamination des aflatoxines que les lésions d’insectes.
- En post-récolte
En post-récolte, les mauvaises conditions de conservation telles qu’une humidité élevée, la présence de champignons en pré-récolte, la présence d’insectes sur les grains conservés peuvent toutes contribuer à un développement fongique ultérieur et à l’accumulation de mycotoxines dans le maïs (Sinha 1994). De plus, durant la conservation, les insectes créent des lésions aux grains et disséminent les spores fongiques qui provoquent une accumulation supplémentaire de mycotoxines en post-récolte.
Bien que des conditions de conservation mal contrôlées posent un risque majeur pour la formation de mycotoxines (Elmholt 2003), un conseil approprié sur l’amélioration des installations de conservation suffit pour éliminer ce problème (Elmholt 2003). Dans les zones où la qualité de conservation et de traitement est similaire pour les produits conventionnels et biologiques, la plus grande résistance aux maladies des plantes cultivées en bio réduira le risque de contamination. Après la récolte, quand les traitements pesticides sont bannis en agriculture conventionnelle, les mécanismes de résistance accrue aux champignons due aux défenses naturelles des plantes continueront à s’exprimer pendant le stockage. A l’égard de la susceptibilité aux maladies, la présence de mécanismes de résistance accrue aux maladies dans les plantes cultivées en agriculture biologique réduit aussi les pertes au stockage causées par la pourriture et les moisissures. Par exemple, les céréales biologiques ont un taux plus faible de mycotoxines (Benbrook 2005) et les bettes suisses biologiques ont une durée de conservation plus longue (Moreira et al. 2003).
IV- Signification évolutive des mycotoxines
Comme l’a souligné Feeny (1976), « c’est un précepte de l’écologie moderne que l’énergie ne soit pas gaspillée dans la production de métabolites secondaires à moins qu’il n’y ait quelque avantage sélectif compensateur pour l’organisme en question ». Pour tout organisme, la production d’une molécule (ici, les toxines) a un coût métabolique qui doit être compensé par un avantage lié à la sécrétion de ces toxines. C’est la raison pour laquelle même les souches productrices de mycotoxines ne les sécrètent que s’il existe un stress environnemental (sécheresse, pénurie de substrats favorables à la croissance du champignon) : dans ces conditions de stress où la compétition entre organismes est exacerbée, la production de mycotoxines permet au champignon de préempter le grain qu’il envahit en « l’empoisonnant » pour d’autres organismes qui l’aurait consommé sans cela. L’avantage compétitif qui en résulte ne saurait exister en l’absence de stress puisque s’il y a abondance pour tous les organismes du milieu, la préemption du substrat n’apporte aucun avantage au champignon producteur et la sécrétion de mycotoxines représente alors une dépense métabolique qui n’est compensée par aucun avantage : une telle souche qui produirait ces toxines en l’absence d’avantage compensateur serait contre sélectionnée car les souches économes auraient alors un avantage reproductif et se répandraient dans l’espèce. Il existe donc une variabilité dans la production de ces mycotoxines qui est liée à la variabilité génétique des souches fongiques qui s’explique par la variabilité des conditions environnementales. Certaines souches produisent plus et d’autres moins de mycotoxines, et ce polymorphisme est maintenu par la variabilité des conditions environnementales auxquelles les champignons sont soumis.
V- Conclusion
La production d’une alimentation de qualité pour une population mondiale croissante demeure un défi majeur du XXI° siècle, et il devient évident que ce but ne saurait être atteint sans maintenir la fertilité des sols et le fonctionnement des écosystèmes. Sur le plan sanitaire, le contrôle des aliments et la recherche de contaminants comme les mycotoxines sont régulés au niveau international.
En ce qui concerne la sécurité alimentaire, de nombreux aspects de l’agriculture biologique (diversité et rusticité des variétés, diversité des itinéraires culturaux) réduisent les risques relatifs aux pathogènes (zoonoses), mycotoxines, toxines bactériennes et polluants industriels toxiques, par comparaison avec l’agriculture conventionnelle (Champeil et al. 2004, Avantaggiatoa et al. 2007). Par exemple, la protection du maïs Bt contre les insectes foreurs contrôle indirectement l’accumulation des mycotoxines en diminuant le nombre de lésions au maïs, et par voie de conséquence, la colonisation du maïs par le champignon.
Cependant, les différentes conditions climatiques et les caractéristiques du génotype jouent un rôle déterminant sur la croissance des champignons producteurs de toxines et la possible accumulation de mycotoxines. Les études passées en revue confirment ainsi l’influence et la prépondérance des facteurs environnementaux et génétiques sur les caractéristiques qualitatives en agriculture biologique. Contrairement à des solutions simplistes qui prétendraient maîtriser les contaminations fongiques par l’adoption de variétés GM, la maîtrise de ces contaminations passe par la caractérisation des génotypes et des itinéraires culturaux, et de leurs conséquences sur l’accumulation de mycotoxines.
VI- Bibliographie
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Lilian Ceballos © 31 octobre 2007
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Lilian Ceballos
Création de l'article : 8 novembre 2007
Dernière mise à jour : 13 novembre 2007
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