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Quand des travailleurs pronucléaires dénoncent les risques de catastrophe ! |
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Lettre ouverte au directeur du CNPE de CHINON, lundi 21 janvier 2008 :
(De nombreuses lettres de ce type circulent dans l’intranet d’EDF.)
Nucléaire : dangereux verrouillage
L’Osart [1] vient de rendre ses conclusions qui en feront sourire plus d’un sur le site, notamment parmi les agents et sous-traitants, mais aussi parmi vos plus proches collaborateurs...
Car cette opération, menée tambour battant depuis des mois, est à l’image de ce que le nucléaire ne doit pas être : falsificateur et verrouillé.
Falsificateur, car vous avez beau répéter à l’envi que ces experts internationaux représentent l’extrême garantie de l’objectivité, les 1300 agents Edf que nous sommes encore, et les centaines de sous-traitants qui travaillent à nos côtés, ont tous été témoins du travail effectué en amont, non pas pour nous améliorer (on serait tous d’accord !), mais pour rendre l’installation et notre organisation « présentables » à ces experts de l’AIEA.
Falsificateur, vous l’êtes aussi assurément quand vous n’avez aucun scrupule pour dire, et redire comme pour vous convaincre vous-même, que pour vous, « la sûreté est la priorité absolue » du site, que « jamais nous ne dévirons de cet objectif ». Malheureusement, la sûreté est la priorité absolue du personnel, mais elle n’est pas la vôtre, elle n’est plus celle de la direction.
Mais bien évidemment, il ne serait pas pensable de dire cela à l’opinion publique. Car cet aveu signerait la fin du nucléaire !
Il vous faut donc aussi verrouiller la parole...
Car on comprend bien dès lors, qu’en guise de « transparence » http://www.dissident-media.org/infonucleaire/transparence.html, vous organisez - de concert avec ces experts internationaux au dessus de tout soupçon - l’omerta, le silence, voire même le grand verrouillage... C’est dans ce contexte que vous n’avez pas hésité à tenter d’empêcher le personnel de rencontrer l’Osart à son arrivée sur le site, et que vous nous avez refusé la parole vendredi matin, après cette cérémonie digne de « tintin chez les soviets »... L’étude psychosociale vous avait pourtant bien alerté des dangers d’une communication qu’elle a baptisée « communication pravda »...
Or, M. le Directeur, non seulement le nucléaire a besoin de transparence (transparence, pour le moment, sur les événements qui surviennent), mais il a également besoin de démocratie (c’est-à-dire de décisions partagées entre managers et agents) et a besoin de débat social (c’est tout le sens de la Loi de transparence nucléaire : désormais, les CHSCT ont leur mot à dire sur les bilans de sûreté).
En nous refusant la parole, que nous avons pris quand même, sans micro ni traduction simultanée, nous avons fait la preuve, devant le personnel présent, de notre courage, tandis que vous avez fait la preuve de votre refus du débat, et votre immense peur de la parole du personnel associée à votre peur de voir s’exprimer la réalité de ce que nous vivons. Vous avez ainsi préféré prendre le risque de dégrader un peu plus votre image de directeur aux yeux du personnel que de prendre le risque de l’expression publique des difficultés qui sont les nôtres !
Or, c’est justement le déni de la réalité et le verrouillage de la parole des salariés directement concernés par la sûreté, qui constituent un danger pour la sûreté !
Le nucléaire ne peut pas se passer du regard des autres, et dans ce sens nous accordons le plus vif intérêt à tout observateur externe. Mais la sûreté nucléaire a aussi besoin de la liberté d’expression du personnel qui est le mieux placé pour alerter.
Comme vous le dites si bien, la prudence en matière de sécurité et de sûreté, nous impose d’être interrogatifs à tout moment. Faire une analyse de risques probables nécessite certes une approche « probabiliste », mais nécessite aussi, à tout moment, de s’interroger et non pas verrouiller le questionnement.
Cet omerta sur les dangers potentiels se traduit clairement dans les propos que vous avez tenus, avec l’équipe Osart, aux media convoqués après « la cérémonie » vendredi matin.
Il en ressort pour le personnel des articles de presse qui resteront dans nos mémoires tant le divorce paraît grand entre le vécu du personnel et vos déclarations faites à la presse.
Ainsi, lire qu’à Chinon, « il n’y a pas de souci de management » (NR du 17-12-07) et que les « experts » sont formels sur ce point... prêterait à sourire si la situation n’était pas si dramatique. Car, par votre politique, vous placez le management en situation d’avoir à supporter le risque perpétuel du conflit quand la sûreté nécessiterait tout l’inverse : coopération et considération mutuelles. C’est le cas récemment à SMS, à SCR, à l’AMI, à la Doc, au Magasin, à la PS, à la SSQ,... mais c’est potentiellement le cas dans tous les services où des agents se plaignent régulièrement de leur hiérarchie accusée de « ne penser qu’à sa carrière », de « ne pas faire remonter les problèmes », de « mal juger le travail fourni » par des agents souvent usés par l’effort,... Votre politique conduit à faire des managers les cibles privilégiés, vous laissant dans l’ombre, alors que pourtant vous êtes l’artisan de ces conflits insupportables, de part et d’autre.
Les managers doivent gérer l’organisation du travail alors qu’ils sont de plus en plus en difficultés pour le faire : remises en cause de leur légitimité, temps de travail démesuré, regard de plus en plus distancié de la réalité du travail, tâches ingrates, et pour certains, mépris de la part de la direction, absence d’outils et de moyens pour mener leurs missions, manque de formation ou de qualité de formation, etc, etc... Rien d’étonnant dans ces conditions qu’il y ait tant de dégâts !
Bon nombre de managers sont menacés par un climat de violence qui découle de cette politique agressive, répressive, et parfois, irresponsable ! Car vous vous employez à briser les collectifs de travail en mettant les gens en concurrence, en poussant à l’individualisme (par exemple, en individualisant la responsabilité plutôt que de reconnaître sa dimension collective et organisationnelle). Dans cette même logique, vous n’hésitez pas à mettre en péril la coopération nécessaire, l’entente, seul garant de la sûreté, entre agents et hiérarchie. Le ressentiment du personnel, dans ces conditions, est légitime étant donné ce que les agents subissent, mais il est vécu comme parfaitement injuste par des managers qui se rendent compte, de jour en jour, qu’ils sont, finalement, ceux qui « paient » l’addition puisque les agents - et c’est fait pour ! - ont tendance à les prendre « naturellement » pour cible.
Et tout cela, l’Osart ne l’a pas vu !
Cette posture de déni de ce que nous vivons, prend l’allure d’une véritable provocation quand nous lisons dans Le courrier de l’Ouest qu’à Chinon, « la charge de travail est tout à fait normale » ! C’est tellement énorme de la part de l’équipe d’Osart (qui dévoile définitivement sa cécité !) que vous avez été obligé de « nuancer » de tels propos (selon le journaliste). Sans doute avez-vous eu conscience que cela ne passerait pas !
Et pour cause !!
De qui se moque-t-on quand on sait dans quelles conditions travaille la plupart des agents du site et les sous-traitants ? Vous êtes régulièrement interpellé sur ce point, les uns vous expliquant qu’ils ont 6 mois de retard sur leur travail, les autres vous alertant de ne pas pouvoir faire le travail dans les règles de l’art faute de temps, d’autres encore que ce travail tendu à l’extrême ne permet pas de réaliser l’anticipation, le rex, etc...
Nous sommes heurtés, scandalisés, et plus inquiets que jamais quant à l’avenir qui se prépare pour nous. Car, pour votre part, l’aventure chinonaise s’arrête là, mais nous, nous restons, et vous nous laissez une sacré situation à gérer !
Dans ce périlleux consensus pour verrouiller le débat (consensus entre dirigeants d’Edf, experts externes, pouvoirs publics), vous êtes le parfait serviteur de ce mode de management dangereux pour la santé des salariés, techniciens et managers, et dangereux pour la sûreté. M. Neil Henderson ne s’y est pas trompé en vous congratulant pour votre hospitalité et pour le zèle que vous avez mis dans cette ultime mission qui vous incombait à Chinon : assurément « vous faites honneur à Edf » ! Mais vous ne faites pas honneur au personnel, ni aux agents Edf, ni aux managers, ni aux sous-traitants, ni aux représentants du personnel.
Vous êtes le serviteur d’une cause qui n’est pas la nôtre, mais celle de la direction d’Edf qui vient de faire paraître dans la revue de l’ASN, un article signé par notre directeur, M. Gadonneix. Le titre de l’article en dit long, et est, on ne peut plus clair : « Sûreté, rentabilité et confiance du public : les enjeux indissociables pour l’avenir du nucléaire ». (Voir page 66 du dossier Contrôle 2008)
Le nucléaire doit être rentable, et pour cela il faut endormir l’opinion publique sur les « nouveaux » enjeux de sûreté que fait peser cette course effrénée à la rentabilité financière. Rentabilité dont nous ne doutons pas que vous profiterez (pour vous remercier de ce zèle aveugle), mais qui pourrait bien être fatale au nucléaire !
Endormir l’opinion publique, c’est dire que « tout va bien » quand tout va mal ou dire que c’est « globalement positif » (NR du 17-12-07). Travestir la réalité c’était déjà le cas dans vos rapports annuels de sûreté. Vous avez franchi un pas supplémentaire avec l’Osart, opération de médiatisation pour soigner « l’image » du nucléaire.
La CGT ne sera pas complice de cette campagne de déni de réalité. En tant qu’organisation syndicale majoritaire du site, il est de notre devoir de nous faire l’écho des risques réels que vous faites peser sur les travailleurs et sur l’environnement.
Nous nous doutons bien que vous auriez préféré que le personnel accorde moins d’importance à la CGT. Mais là aussi, le divorce entre personnel et direction s’exprime : votre préférence n’est pas celle du personnel, puisque celui-ci, malgré tout l’acharnement mis à saboter ces élections professionnelles dans le but unique de limiter notre influence, a marqué une confiance augmentée dans notre organisation. Nous représentons désormais, M. le Directeur, 60% des agents et sous-traitants, tous collèges confondus, avec un taux de participation de plus de 70%. Cette représentativité nous autorise à vous rappeler que nous comptons, et pas seulement quand ça vous arrange.
Elle nous invite aussi à prendre nos responsabilités pour montrer ce que vous prenez tant de soin à vouloir cacher, et ouvrir les débats, reconstruire des solidarités entre ceux que vous mettez en situation de ne plus pouvoir se parler...
C’est tout le sens de cette lettre ouverte.
C’est aussi tout le sens de la communication que nous allons organiser avec les media, les élus et les pouvoirs publics, afin qu’ils résistent à l’endormissement de l’opinion dont vous avez besoin, et qu’ils puissent rester vigilants, comme cela doit être le cas face à toute industrie à risques !
Au stade où nous en sommes sur le site, il n’est plus tolérable que nous soyons encore écartés de la CLI, la Commission Locale d’Information qui est présidée par vous-même (un représentant de la direction) ! C’est dire l’objectivité d’un système de contrôle qui vous laisse Juge et Partie... La CLI de Chinon est la seule en France à verrouiller à ce point l’information que la Loi, pourtant, prévoit d’offrir aux citoyens. C’est la seule CLI où la CGT qui devrait y siéger, est écartée...
Mais, nous ne laisserons pas faire, car nous sommes soucieux de la pérennité d’un nucléaire sûr.
Pour finir cette lettre ouverte, nous vous interpellons, au titre de votre responsabilité de directeur de site, sur les réponses que vous envisagez d’apporter aux 3 points de recommandation de l’Osart. Comment ferez-vous, M. le Directeur :
pour diminuer les DMP, ces dispositifs provisoires de l’installation, que les experts ont trouvé « trop nombreux » à leur goût (ce que le personnel concerné partage), alors que ces DMP sont précisément des modifs provisoires visant à augmenter la productivité ? (en gros, c’est pour ne pas ralentir le rythme des travaux de maintenance quand le réacteur est à l’arrêt, donc non productif ! alors qu’à l’origine, les DMP étaient des dispositifs de sécurité et de sûreté !) Avez-vous expliqué à l’Osart que vous vous devez de raccourcir autant que faire se peut le temps d’indisponibilité d’une tranche ? Ce qui est directement en lien avec ces dispositifs qui « embrouillent » l’esprit, et qui sont sources d’erreurs pour le personnel de conduite comme pour la maintenance...
pour sécuriser « le geste professionnel » pointé du doigt par l’Osart qui nous recommande de faire des « contrôles croisés » (demander à un collègue avant d’accomplir « le geste ») même pour les gestes les plus anodins, alors que la plupart des agents travaillent seuls ? Comment ferez-vous pour éviter ces « petites erreurs humaines individuelles » sans augmenter les effectifs pour sortir les agents et sous-traitants de l’isolement dans lequel nous plonge l’organisation ? Ou bien cette recommandation va-t-elle se traduire par une prescription supplémentaire inapplicable ?
enfin, êtes vous certain de vouloir « fiabiliser le système d’étiquetage » des multiples produits utilisés par des travailleurs trop peu informés des risques auxquels leur travail les expose, quand vous semblez minimiser l’importance de la question soulevée ? Pour rappel, et selon la presse que vous avez invitée, vous auriez répondu à cette question des étiquettes défaillantes : « il s’agit de quelques bidons trouvés sur le site sans un étiquetage suffisant »... Pas de quoi fouetter un chat !
Certes, pour reprendre les termes de votre intervention de clôture de cette cérémonie, « il y aura toujours un écart entre notre ambition et la réalité du niveau de sûreté » : bien sage appréciation de votre part ou une façon habile de préparer l’opinion publique aux conséquences potentielles des risques pris au nom de la rentabilité financière fixée par les principaux actionnaires ?
Ne serait-il pas temps de tirer les leçons de l’histoire des industries à risques ?
Plutôt que laisser l’histoire se répéter dangereusement...
Avoine, le 20 décembre 2007,
http://www.unsa-energie-civaux.com/article-15851659.html.
Lire, à propos du management :
- Santé du travail dans l’industrie nucléaire
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/psycho.html
- Rationalité instrumentale et santé au travail dans l’industrie nucléaire
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/rationalite_instrumentale.html
- Rapport d’enquète de psychopathologie du travail au Centre de Production Nucléaire de Chinon
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/psychopathologie.html
- Les résultats du nouveau management dans le nucléaire (information de la section syndicale FO)
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/info_fo_uto.html
- Nucléaire : sans foi, ni loi ! (information de la section syndicale FO)
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/uto_n_33.html
- Intermittents, les esclaves du nucléaire
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/esclaves.html
A propos de la Sûreté des réacteurs :
- Des principes à la réalité
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/surete_sene.html
- Le rapport Tanguy (synthèse sur la sûreté nucléaire à EDF en 1989)
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/rapport_tanguy.html
- Extrait 1, _ extrait 2 _ et extrait 3 (en Realaudio 33 Kb) de "L’erreur humaine" sur Radio Lucrèce (Roger Belbéoch 3/3/90)
- La saga des fissures sur le palier N4
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/surte_reac.html
- Tous les accidents graves commencent par une suite de petits pépins...
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/news_0_1.html
http://www.dissident-media.org/infonucleaire
Notes
[1] Les missions OSART : Pour les normes qui concernent les exploitants nucléaires, les missions OSART (Operational Safety Review Team, mission d’examen de la sûreté en exploitation) regroupent une équipe d’experts provenant d’Autorités de sûreté nucléaire de pays tiers qui audite une installation nucléaire. Elles visent à examiner en profondeur, avec un regard critique, l’organisation de la sûreté en exploitation des centrales nucléaires. À la demande de l’ASN, l’ensemble des centrales nucléaires françaises auront été soumises à une mission OSART avant la fin de la décennie. Les rapports (en anglais) des missions OSART réalisées en France sont accessibles sur http://www.asn.fr/sections...
infonucleaire
Création de l'article : 7 février 2008
Dernière mise à jour : 7 février 2008
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