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L’évolution de la doctrine de l’industrie nucléaire |
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Dessin Cabu, Le Canard enchaîné, 14 février 1990.
Les débuts : années 50
« L’énergie nucléaire permettra de produire de l’énergie en quantité illimitée et quasiment gratuite ». Lors de la conférence "Atom for peace" (1953) c’est l’annonce du bonheur pour l’humanité et ce... sans risques.
Three Mile Island 1979 : C’est la première fois qu’un réacteur de production [1] a un accident grave. D’où une grosse peur, une très grosse peur... mais les Américains sont des ânes et... c’est dû à l’embonpoint du chef de quart dont la bedaine empêchait la lecture des indications sur le panneau de conduite [Lire : "Les 14 failles des centrales atomiques"].
Par contre, chez nous, le FrancAtome est d’une sûreté inébranlable,... néanmoins on va remplacer les soupapes Fischer, responsables de TMI - en cas de décharge, elles se coincent en position ouverte - par des Sebim ... J’avais oublié de vous dire que notre pallier 900 MWé est purement du Westinghouse, construit sous licence, donc conçu par les ânes cités plus haut et que nos bijoux sont également équipés des mêmes soupapes Fischer. [2]
Tout allait si bien...
Arrive Tchernobyl en 1986 : La grosse frayeur, un réacteur à neutrons lents peut devenir surcritique prompt et vous sauter à la figure comme un vulgaire surgénérateur. Quel manque de savoir vivre !
Vite il faut expliquer que les Soviétiques sont des nuls, que leurs réacteurs (RBMK) sont mal conçus, etc..., même si la veille de l’accident, on vous les donnait encore en exemple. Je me souviens d’une réunion contradictoire tenue au DPHPE de Saclay, où un physicien du CEA, un PC pur et dur nous expliquait, sans sourire, qu’en URSS le rendement de Carnot était plus favorable que dans les pays capitalistes. Ce qu’il voulait nous dire, c’était que la construction des centrales à proximité des villes, permettait d’utiliser les rejets d’eaux chaudes pour faire du chauffage urbain, ce qui améliorait le rendement global de l’installation.
Pauvre Carnot !!! et pauvres habitants de Pripiat...
Mais, après un moment de stupeur, et la décision de hâter la fermeture des réacteurs Graphites - Gaz (Chinon 2 et 3, St Laurent 1 et 2 et Bugey 1) qui n’avaient guère plus d’enceinte de confinement que les RBMK soviétiques, notre cher Tanguy [Inspecteur Général pour la Sûreté et la Sécurité nucléaire à EDF] se hâta d’expliquer que la probabilité pour qu’un accident grave survienne sur un de nos réacteurs du type PWR était... peanuts !!!
Dormez, bonnes gens : tout va bien...
Donc, depuis le début du FrancAtome, on nous ressasse que le nucléaire est sûr, archi-sûr et que tout est prévu pour éviter, pour empêcher qu’un accident grave puisse se produire. D’ailleurs, en France, nous avons une solution pour obtenir ce résultat : il suffit de publier au journal officiel un arrêté fixant les modalités de qualité de fabrication, de construction, permettant d’obtenir cette sûreté absolue. Mais n’oublions pas que nous sommes en France, donc un dernier article de cet arrêté donne la possibilité de dérogations. [3]
Puis arrive l’EPR, le bijou dit de 3e génération. [4]
La vague de libéralisme submerge la sûreté. Il faut que cette machine produise des KWh moins chers, pas pour le client, mais permettant plus de profits pour les futurs actionnaires de la future boite privée que va devenir EDF. Donc on étudie des astuces permettant de gagner sur la disponibilité de la machine. Que certaines de ces options mettent en péril la sûreté, c’est certain. Les cycles longs avec des hauts taux de combustion exigent des combustibles ayant une charge fissile au démarrage à la limite des zones dangereuses, les puissances résiduelles plus importantes rendent inopérants les dispositifs d’évacuation de la chaleur en cas de gros pépin... [5].
Qu’à cela ne tienne, [le dogme] des barrières [*] (souvenez vous : 1e barrière : la gaine du combustible, 2e barrière : le circuit primaire avec la cuve, 3e barrière : l’enceinte de confinement) en prennent un sacré coup.
- Les gaines... bof... avec des taux de combustions de 80 à 90 GWjour/tonne ne sont garanties que grâce à une aide divine.
- Donc si le cœur fond, la cuve... fond aussi. D’où l’apparition, tel Zorro, du récupérateur de corium [sur l’EPR], dispositif destiné, d’après ses concepteurs à rassembler tout le corium [ou coeur du réacteur] fondu dans une zone où il serait possible de le refroidir. Il va falloir prévoir dans les procédures, une procession annuelle pour essayer de mettre les Dieux dans de bonnes dispositions... [6]
L’accident est possible, mais...
Mais, je pense que vous avez remarqué qu’on est passé subrepticement du zéro accident grave à un dispositif destiné à confiner le résultat d’un accident grave programmé.
C’est cela le progrès technique.
La phase suivante consiste, désormais puisque l’accident grave est envisagé comme étant quasi certain, à étudier le post-accidentel. Pour cela on dispose, grâce à Tchernobyl, d’un retour d’expérience... pas très encourageant !!!
De nombreuses réunions de groupes de travail, en France (CODIRPA [7]), et au niveau européen (European Nuclear Energy Forum), ont lieu actuellement. Un volet particulier y est étudié : l’acceptabilité par les populations... du nucléaire ? vous rigolez, non bien sûr ! Il s’agit de l’acceptabilité d’un accident et de ses conséquences.
Ces groupes de travail, composés en quasi-totalité de représentants des constructeurs et des autorités administratives, débattent doctement des astuces psychologiques qu’il faudra mettre en œuvre en cas d’accident. Ce n’est pas surprenant que les citoyens de base n’y soient pas représentés. Ils pourraient avoir leur mot à dire car, en fait, après une première phase relativement courte où ce seront les agents du site qui seront en première ligne, ce seront eux, les voisins plus ou moins proches de l’installation, qui auront à subir pendant des dizaines d’années, voire beaucoup plus - mais là il s’agit de générations, les nuisances et les effets sur leur santé et sur l’environnement.
On est donc passé, en une quarantaine d’années, de la sûreté absolue, à l’accident possible, puis à l’accident certain, tellement certain qu’il faut travailler, non pas la sûreté pour l’éviter, mais l’acceptabilité de son occurrence par les populations.
Et si on arrêtait le nucléaire...
Raymond Sené, mai 2008,
La Gazette Nucléaire n°245/246.
Note :
[Quelques éléments entre crochets ont été rajoutés par Infonucléaire]
http://www.dissident-media.org/infonucleaire
Notes
[1] On ne parlera pas des nombreux réacteurs expérimentaux qui eurent des états d’âme destructifs, et en particulier du réacteur suisse construit à Lucens, qui divergea pour la première fois et ne s’arrêta qu’une fois fondu.
[2] Au moment où le cœur du réacteur de TMI fondait joyeusement, en France on était en phase d’essais avant démarrage des premières tranches de Gravelines, Tricastin et Dampierre. Lors de ces essais, les dites soupapes de décharge du pressuriseur se coinçaient également en position ouverte. Un tract de la CGT de Gravelines ironisait en disant qu’à EDF on était plus fort que les Américains. Lors de leur incident, non seulement "le circuit primaire avait été vidé, mais en plus il avait été rincé". Ils proposaient qu’on graisse le mécanisme avec du beurre !
[3] Arrêté n°7 du 10 août 1984 relatif à la qualité de la conception, de la construction et de l’exploitation des installations nucléaires de base.
[4] L’EPR n’est, par rapport aux réacteurs des paliers 900 et 1.300 MWé (y compris N4), qu’une petite évolution du même style que celle qui fit passer des réacteurs graphite gaz de Chinon 2 et 3 et St Laurent 1 et 2, à celui de Bugey 1. En fait de troisième génération, c’est une resucée de la seconde, en beaucoup plus dangereux !!!
[5] D’ailleurs, nous avons appris, à l’occasion des réunions du débat public, qu’au dessus d’une puissance nominale de 600 MWé, les dispositifs de refroidissement destinés à sauver la cuve seraient insuffisants, voire inopérants.
[*] [EDF garantissait une sécurité absolue par la mise en place de sa "défense en profondeur". Une "triple barrière" entre le combustible et l’environnement devait assurer la protection de la population contre tout rejet intempestif. Cela revenait à reconnaître la possibilité d’accident sur les installations puisqu’il fallait des "barrières" de protection mais cela ne fut guère remarqué.]
[A lire de Raymond Sené : "La sûreté nucléaire - Des principes à la réalité", 1988.]
[6] Le puits de cuve est d’ailleurs revêtu d’une couche de "béton sacrificiel". Quand on vous dit qu’il y a un recours aux Dieux !!!
[7] CODIRPA : COmité DIRecteur pour la gestion de la phase Post-Accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique.-
infonucleaire
Création de l'article : 20 juin 2008
Dernière mise à jour : 20 juin 2008
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P.S.
"Et si on arrêtait le nucléaire..."
- Sortir du nucléaire : Pourquoi ? Quand ? Comment ?, à lire sur :
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/antinuc2.html
Sortir de l’impasse nucléaire avant la catastrophe, c’est possible !, à lire sur :
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/sup_sort.pdf
Charte pour l’arrêt immédiat du nucléaire, à lire sur :
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/sortie_immediate.html
Voir les bulletins Stop Nucléaire de la coordination des groupes pour un arrêt immédiat du nucléaire (en Pdf) :
- N°1 décembre 2000
- N°2 mai 2001
- N°3 octobre 2001.
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