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Il y a 50 ans aux USA, explosion d’un réacteur nucléaire en Idaho |
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"Un réacteur nucléaire ça n’explose pas !!!", cela fut répété maintes fois avant Tchernobyl par tous les nucléocrates de la planète, or ils savaient déjà 25 ans avant Tchernobyl qu’un réacteur nucléaire ça peut exploser !
Explosions en Idaho
Anniversaire (50 ans) d’un petit accident où un des opérateurs se retrouvera transpercé par une barre de contrôle et épinglé au plafond du bâtiment réacteur comme un vulgaire papillon...
L’État d’Idaho s’étend au nord-ouest des États-Unis, juste à l’ouest des Rocheuses. Au nord il y a des montagnes, et au sud de hautes plaines steppiques, autrefois domaine des Indiens Shoshones, qui sont maintenant parqués dans des réserves. La Snake River coule au milieu de ces plaines ; née dans le parc national de Yellowstone, elle rejoint ensuite la Columbia, qui elle-même se jette dans le Pacifique. Les plaines de la Snake n’ont qu’une maigre végétation d’armoises, qui permet tout juste l’élevage du mouton ; seule l’irrigation a permis d’y développer un peu l’agriculture. La ville d’Idaho Falls est au bord de la rivière ; son nom vient d’une cataracte maintenant équipée pour l’hydroélectricité. En 1960, ce centre commercial et touristique a 33 000 habitants. Au sud de l’Idaho se trouve l’Utah, fief des Mormons, qui en 1944 ont construit un temple à Idaho Falls, près de la cataracte. A une cinquantaine de km à l’ouest commence l’immense Centre national d’essais de réacteurs (1 800 km2), qui s’étend jusqu’à la petite bourgade d’Arco. Ce centre, créé en 1949, comprend en 1960 dix-sept réacteurs en fonctionnement et six en construction ; le coût de ces installations est évalué à 170 millions de dollars.
L’un de ces réacteurs est désigné par le sigle SL-1 (Stationary Low Power Reactor N°1) ; c’est un petit réacteur de 3 MWth (soixante-dix fois moins que le réacteur de Windscale, mille fois moins qu’un réacteur comme ceux de Fessenheim, de Three Mile Island ou de Tchernobyl) qui appartient à l’Armée ; il est destiné à être implanté dans une base arctique. Le coeur de ce réacteur a été fabriqué à Lemont, en Illinois, par le Laboratoire national d’Argonne. Il est fait de plusieurs centaines de plaques minces en alliage uranium-aluminium (En poids : 17,5 % d’uranium, 81,5 % d’aluminium et 1 % de nickel), gainées d’aluminium et regroupées en assemblages. L’uranium y est très enrichi : 93 % d’isotope 235 (contre 0,7 % dans l’uranium naturel) ; il provient des stocks accumulés pour la fabrication de bombes atomiques. Quelques kilos d’uranium suffisent pour ce coeur très compact, placé dans une cuve remplie d’eau ordinaire. En levant des barres de contrôle à base de cadmium (métal qui absorbe les neutrons), on déclenche la réaction en chaîne, et la puissance dégagée fait bouillir l’eau ; l’énergie ainsi libérée est utilisée en partie pour le chauffage, en partie pour produire un peu d’électricité (200 kW). L’eau de la cuve sert à la fois de réfrigérant (comme l’air à Windscale) et de ralentisseur de neutrons (comme le graphite). L’eau est un « modérateur » (c’est-à-dire un ralentisseur de neutrons) beaucoup moins efficace que le graphite ; c’est pourquoi les réacteurs à eau ordinaire doivent utiliser de l’uranium enrichi.
L’une des tâches du Centre d’essais est l’étude des « excursions de puissance » ou « excursions nucléaires », c’est-à-dire les augmentations très rapides de puissance qui se produisent si la réaction en chaîne s’emballe et qui peuvent conduire jusqu’à l’explosion. Pour faire ces tests il y a en 1960 trois réacteurs Spert (Special Power Excursion Reactor Test) qui fonctionnent au Centre d’Essais d’Idaho Falls ; un quatrième est en construction. Mais ce n’est pas un des réacteurs Spert qui va exploser ; ce sera SL-1 : première explosion accidentelle meurtrière d’un réacteur, qui n’empêchera pas les autorités nucléaires de déclarer par la suite qu’un réacteur ne peut exploser, en attendant le démenti de Tchernobyl.
Une expérience
L’histoire du centre d’essais est d’ailleurs marquée par les excursions nucléaires, volontaires ou accidentelles. La première a eu lieu le 22 juillet 1954 sur le premier réacteur de la série Borax (Boiling Reactor Experiment). Ce petit réacteur à eau bouillante avait démarré en 1953 ; il avait rempli sa mission et la décision fut prise de voir ce qui se passait en cas d’excursion nucléaire. Les opérateurs se mirent à l’abri à 800 mètres de là, et commandèrent à distance l’éjection de barres de contrôle. Ce fut une très belle explosion. Le réacteur passa d’une puissance négligeable (il était à l’arrêt, et l’eau était seulement à 20°C) à 19 000 MW, puissance absolument colossale, et cela en moins d’un dixième de seconde ; la puissance doublait tous les 2,6 millièmes de seconde. Sous l’action de la pression résultant de la vaporisation quasi instantanée de l’eau, le coeur fut projeté en l’air. Des débris montèrent jusqu’à 25 m, et retombèrent dans un rayon d’une centaine de mètres. Etait-ce une explosion nucléaire ? Oui et non. Non, car cela n’avait aucune commune mesure avec l’épouvantable cataclysme provoqué par une bombe atomique. Non, parce que l’énergie explosive libérée avait été essentiellement le fait de l’eau brutalement vaporisée par l’énorme accroissement de puissance du réacteur. Mais oui, parce que toute cette énergie était en fait d’origine nucléaire ; l’eau n’avait servi que d’intermédiaire (dans d’autres cas, l’énergie nucléaire peut d’ailleurs se convertir directement mais partiellement en énergie « mécanique » explosive).
Comment de tels phénomènes peuvent-ils se produire dans des réacteurs généralement décrits comme inoffensifs*, et en tout cas non susceptibles d’exploser ? Simplement, si l’on ose dire, parce que ce sont des machines en « équilibre précaire ». Pour que tout se passe bien, le nombre de neutrons doit être constant. Comme en moyenne, dans un réacteur utilisant l’uranium pour combustible, la fission de deux noyaux d’uranium 235 donne naissance à cinq neutrons, il faut que trois de ces neutrons soient capturés par des atomes non fissiles ou quittent le réacteur, et que les deux autres « cassent » à leur tour deux atomes d’uranium 235. Ainsi le nombre de fissions par seconde ne bouge pas, et la puissance, proportionnelle à ce nombre, est stable. On dit que le « coefficient de multiplication » est égal à un. Si ce coefficient dépasse un peu l’unité, ce n’est pas trop grave, car une petite partie des neutrons est émise avec un retard allant de la seconde à la minute par les produits de fission (résultat de la « cassure » des noyaux fissiles uranium 235 ou plutonium 239) : ce sont les neutrons « retardés ». Grâce à eux, on peut piloter le réacteur en déplaçant les barres de contrôle avec une constante de temps de quelques secondes, parfaitement accessible à notre technologie. Mais si le coefficient de multiplication devient trop grand (plus de 1,005 pour donner un ordre de grandeur), les neutrons émis instantanément lors de la fission (neutrons « instantanés ») peuvent se multiplier directement, sans qu’il soit besoin des neutrons retardés. Comme ces neutrons instantanés mettent, suivant les réacteurs, entre un dixième de microseconde (surgénérateurs) et une milliseconde (réacteurs à uranium naturel) pour aller casser un autre atome fissile, il devient totalement impossible de maîtriser la réaction en chaîne, qui prend un caractère explosif. C’est ce qui s’est passé le 22 juillet 1954.
Accidents précurseurs
L’année 1954 avait été marquée par une excursion nucléaire volontaire ; 1955 et 1958 le furent par des excursions accidentelles, heureusement sans conséquences graves. Le Centre d’essais s’enorgueillissait de posséder le premier réacteur qui ait produit de l’électricité (de façon plutôt symbolique à vrai dire) il s’agissait d’un petit prototype de surgénérateur, EBR 1 (Experimental Breeder Reactor). Ce réacteur de 1,2 MWth et 300 kWé avait démarré le 20 décembre 1951. Il comportait un coeur de 47 kg d’uranium 235, entouré par deux « couvertures » concentriques d’uranium 238 ; dans la couverture extérieure pouvaient se déplacer 12 barres de contrôle. Le 29 novembre 1955, au cours d’une expérience destinée à étudier des oscillations anormales de température et de puissance provoquées par les variations de débit du refrigerant (un mélange sodium/potassium), la puissance se mit à croître trop vite. Le physicien responsable décida d’arrêter le réacteur, mais l’opérateur à qui il en donna l’ordre appuya par erreur sur le bouton de commande des barres de contrôle à vitesse lente, au lieu de celles d’arrêt rapide, qui seules auraient pu agir à temps. La réaction en chaîne s’emballa, avec un doublement de la puissance tous les deux dixièmes de seconde. Deux secondes après le physicien appuyait sur le bon bouton, mais cela ne suffisait pas pour arrêter l’excursion. Heureusement il fut possible d’arrêter la réaction avant qu’elle ne devienne explosive, en faisant tomber la couverture extérieure : cette couverture servait en effet à la réaction en chaîne, c’était un réflecteur qui renvoyait vers le coeur une partie des neutrons qui s’en échappaient. Cependant près de la moitié du coeur fondit.
Le 18 novembre 1958, un accident analogue se produisit sur un petit réacteur expérimental très spécial, HTRE 3 (Heat Transfer Reactor Experiment). Destiné à tester des coeurs de réacteur à haute température, il était refroidi à l’air et modéré par un composé hydrogéné de zirconium. Il avait été prévu de commander manuellement la montée en puissance jusqu’à 90 % de la puissance maximum (120 kW), puis de passer sur un automatisme. Or l’instrumentation qui gouvernait cet automatisme marchait à l’envers, et indiquait une baisse de la puissance quand celle-ci montait. Si bien que lorsque l’opérateur passa en mode automatique, il y eut ordre de montée très rapide des barres de contrôle, et début d’excursion nucléaire ; heureusement un autre automatisme arrêta immédiatement le réacteur par chute des barres. Cependant le coeur fut fortement endommagé, avec fusion de combustible.
Le drame
En 1960, ces incidents ne sont pas oubliés, mais, comme ils n’ont pas eu de conséquences graves, le Centre d’essais continue son travail sans porter une attention excessive à la sûreté. Ainsi SL-l, qui fonctionne depuis le 11 août 1958, est exploité avec un certain laisser aller. En novembre et décembre quelques incidents ont lieu : un peu de vapeur d’eau s’infiltre parfois en salle de contrôle, et surtout les barres de contrôle ont tendance à se coincer. Les opérateurs ont seulement reçu la consigne de les monter et les baisser de temps en temps, entre certaines limites, afin de s’assurer qu’elles sont toujours capables de « chuter » pour arrêter la réaction en chaîne. Vendredi 23 décembre, il devient clair qu’il faut une maintenance sérieuse, et le réacteur est arrêté. Les barres de contrôle sont déconnectées de leurs mécanismes de commande automatique, et des équipes procèdent à l’inspection et à la maintenance.
Le mardi 3 janvier 1961, à 16 h (heure locale), l’équipe chargée de connecter les barres à leurs mécanismes de commande afin de pouvoir redémarrer le réacteur arrive sur place ; elle doit travailler jusqu’à minuit. Elle est composée de trois militaires de moins de trente ans : Richard Legg, électricien de la Marine, qui travaille depuis plus d’un an sur SL-1 ; John Byrnes, opérateur de réacteur, un spécialiste de l’Armée de terre ; et le plus jeune, Richard Mac Kinley, vingt-deux ans, stagiaire de l’Armée de terre. Le travail commence normalement ; ils écrivent sur le livre de bord : « Remise en place des fiches, des brides, etc. sur toutes les barres de contrôle ».
La nuit tombe sur l’Idaho, une froide nuit d’hiver continental ; il fait - 20°C et il n’y a pas de nuages ; la pleine lune éclaire un paysage semi désertique où se dressent de-ci de-là quelques bâtiments de réacteurs. La plupart des employés du Centre d’essais ont regagné Idaho Falls, où demeurent leurs familles. A 21 h 01, trois postes d’incendie du centre et le QG sécurité reçoivent des signaux d’alarme venant du bâtiment de SL-1. Ces alarmes ne sont pas différenciées et peuvent vouloir dire chaleur ou radiations, mais, dans une installation de réacteur située à un mile de SL-1, c’est bien une alarme aux radiations qui se déclenche. La brigade de pompiers et les forces de sécurité de l’AEC (Atomic Energy Commission) sautent dans leurs véhicules et, après une course de 13 km, stoppent devant l’installation à 9 h 10. Un silence total y règne. Pas de dégâts, pas d’incendie, pas de fumée ; les lumières électriques brillent normalement. Ils arrivent à la porte du bâtiment administratif, et le chef assistant de la brigade y entre. Comme tous les pompiers, il a revêtu des vêtements spéciaux, des « surbottes » et un masque. Son dosimètre, qui va jusqu’à 25 rad par heure sort de son échelle de mesure, et il doit battre en retraite (le rad est une unité de radioactivité qui mesure l’énergie reçue pour les rayons X et Gamma à un rad d’énergie correspond un rem de dommages biologiques ; pour les rayons Alpha et Béta provenant d’une contamination interne du corps, à un rad correspond plus d’un rem). Un physicien de radioprotection du réacteur voisin arrive sur les lieux et, avec un pompier, essaie d’atteindre la salle de contrôle en passant par le bâtiment administratif ; eux aussi doivent s’enfuir. Aucun signe de Legg, Byrnes et Mac Kinley.
L’alarme a été immédiatement répercutée par le système radio du Centre d’essais à toutes les installations et aux domiciles de l’état major. A Idaho Falls, Ed Vallario, physicien chargé de la radioprotection pour SL-1, qui s’apprêtait à mettre ses enfants au lit, s’empare de ses vêtements de protection et de son masque respiratoire, prend dans sa voiture son collègue Paul Duckworth et entame une course effrénée vers le Centre. Peu après 21 h 30, deux physiciens d’une installation voisine arrivent à SL-1 avec des dosimètres pouvant aller jusqu’à 500 rad par heure (500 rad est une dose qui entraîne la mort en quelques jours). Ils s’approchent de la salle de contrôle, mais, s’apercevant que leurs dosimètres montent à 200 rads par heure, quittent le bâtiment à leur tour. Les sauveteurs décident qu’ils ne peuvent s’exposer qu’une fois ou deux chacun, et pas plus de quelques secondes. Une autre équipe monte quatre à quatre les escaliers qui mènent à l’entrée du bâtiment réacteur lui-même : partout du métal brûlé et tordu, et personne en vue ; le dosimètre atteint les 500 rad par heure.
Vallario et Duckworth arrivent vers 22 h 30, juste après que l’officier des opérations du Centre ait notifié à la radio un avis de désastre de classe 1. Mis au courant de la situation, ils décident d’inspecter pendant trois minutes le bâtiment du réacteur. Leurs dosimètres atteignent 1 000 rad par heure. Ils découvrent deux hommes étendus près du réacteur. L’un d’eux, blessé à la tête, bouge encore ; ils se précipitent sur lui, l’installent sur une civière et le portent jusqu’en haut des escaliers, puis ils descendent prévenir une équipe de trois hommes qui se tenait en réserve. Ils remontent à cinq, certains examinent rapidement la victime qui était immobile : l’homme est mort ; les autres descendent la civière avec celui qui vit encore, l’installent dans un camion qui va rejoindre une ambulance quelques miles plus loin. Dans l’ambulance, le docteur, vêtu d’une tenue antiradiations, examine le corps. L’homme est maintenant mort, et il dégage tant de radioactivité qu’il faut le ramener sur le site de SL-l. L’ambulance s’y gare et est abandonnée.
Une autre équipe pénètre dans le bâtiment et découvre enfin le troisième homme, en haut, transpercé par une barre de contrôle, épinglé au plafond comme un vulgaire papillon. Il a été projeté là haut avec le couvercle du petit réacteur, sur lequel il travaillait, et il est visiblement mort. Il n’y a plus rien à faire, et les sauveteurs quittent le bâtiment. Dans une remorque de décontamination arrivée sur place, les sauveteurs se déshabillent et se douchent, puis ils sont dirigés vers le dispensaire pour une décontamination plus approfondie. Les plus exposés ont reçu 30 rad. Tous les autres travailleurs se replient dans un bâtiment situé à quelques miles.
Le lendemain matin à 6 heures, cinq hommes masqués et gantés retirent le corps de l’ambulance, le déshabillent, le remettent dans l’ambulance et le recouvrent d’un tablier de plomb pour réduire les radiations. L’ambulance est amenée à l’installation de retraitement. On y essaie en vain de décontaminer le corps, qui pour finir est placé dans un mélange d’eau, l’alcool et de glace. Mais il faut s’occuper des deux victimes qui sont toujours dans le bâtiment du réacteur. Le soir à partir e 19 h 30, des sauveteurs auxquels on accorde une minute chacun dans ce bâtiment retirent le corps qui était au sol, dans me sorte de macabre course de relais. Pour le corps accroché au plafond, c’est encore plus compliqué. Il faut accrocher un filet à la flèche d’une grue, faire passer la flèche par la porte extérieure du bâtiment du réacteur, installer le filet en dessous du corps, faire grimper des hommes au plafond et dégager le corps, qui tombera dans le filet et sera emporté par la grue. Etant donné le peu de temps de travail autorisé à chacun, cette opération fie sera terminée que lundi 9 janvier vers 5 heures du matin.
Que s’était-il passé le 3 janvier peu avant 21 heures ? Le réacteur SL-1 avait 9 barres de contrôle, et l’une d’elles, celle qui était en position centrale, suffisait pour déclencher la réaction en chaîne. L’hypothèse la plus généralement formulée est que cette barre s’était coincée, et que l’un des trois hommes, voulant la décoincer à la main, a mal dosé son effort. La barre ayant été hissée sur une trop grande hauteur, on a atteint le seuil où la réaction en chaîne devient explosive. Si le déroulement matériel de l’accident ne fait pas de doute, d’autres hypothèses ont été émises pour expliquer l’action de l’opérateur : colère, pari stupide, sabotage délibéré ou même suicide. On ne connaîtra jamais la vérité. Quant aux corps des victimes, après avoir été conservés pendant des jours et des jours dans le mélange d’eau, d’alcool et de glace, ils sont enterrés le 23 janvier dans des cercueils plombés. La commission chargée d’élucider les causes de l’accident conclut rapidement à une excursion nucléaire due à une erreur de manoeuvre des barres de contrôle. L’observation des dommages fait penser que la puissance a atteint 20 000 MW et la pression interne dans la cuve 35 atmospheres ; cette cuve a dû bondir de près de 3 mètres avant de retomber sur place. Des produits radioactifs, notamment de l’iode, se sont échappés dans l’atmosphère, mais en faible quantité ; on pense que 99,99 % de la radioactivité est restée dans le bâtiment. Sous le vent de SL-1, la radioactivité de l’armoise ne dépassera pas 40 fois sa valeur naturelle. Une enquête générale ordonnée par l’AEC à la suite de l’accident conduit à arrêter deux réacteurs du Laboratoire National de Brookhaven le 14 mars 1961. La décontamination de SL-1 durera plus d’un an ; les débris du réacteur seront totalement évacués, et le bâtiment rasé en juillet 1962.
Le réacteur SL-1 après "excursion" est retiré de la National Reactor Testing Station à Idaho Falls, voir le documentaire "The SL-1 accident" de l’US Atomic Energie Commission en Realvidéo 33 Kb.
Conclusions
En février 1967, A. Pascquet tirait, dans le bulletin d’informations scientifiques et techniques du CEA, les conclusions des essais et des accidents du centre national d’essais de réacteurs de l’Idaho : « Les essais effectués aux U.S.A. sur Borax et Spert, l’accident survenu au réacteur SL-1, ont amplement démontré que les réacteurs piscines, tout comme les réacteurs à eau pressurisée ou à eau bouillante, pouvaient être le siège d’excursions de puissance très violentes entraînant la destruction partielle ou totale des structures du réacteur. » Deux types d’accident de réactivité étaient pris en compte pour les PWR, réacteurs à eau ordinaire pressurisée dont plusieurs dizaines d’exemplaires fonctionnent en France, et les BWR, à eau bouillante : l’éjection de barres de contrôle, qui pourrait conduire à des accidents du type SL-1, et l’« accident froid ». Ce dernier type d’accident serait produit par une injection massive d’eau froide : en effet, dans les PWR et les BWR, une baisse de température entraîne une augmentation du coefficient de multiplication. C’est pourquoi l’eau des circuits de secours doit impérativement contenir du bore, qui absorbe les neutrons. Mais au fil des ans l’attention se portait plutôt sur les accidents par perte de réfrigérant, comme celui de Three Mile Island ; les accidents de réactivité étaient jugés par trop improbables. Cependant, à la suite de l’accident de Tchernobyl, la NRC (Nuclear Regulatory Commission) a relancé aux États-Unis les études sur ces accidents de réactivité.
Afin d’examiner plus en détail le problème de l’éjection de « barres » de contrôle, illustré de façon si spectaculaire par l’expérience de Borax-1 et l’accident de SL-1, il convient de décrire précisément le système de contrôle des réacteurs modernes à eau pressurisée qui fonctionnent actuellement en France. Dans ces réacteurs, le combustible est formé de « crayons » rassemblés par centaines dans des « assemblages » ; le coeur d’un réacteur de 900 MWé est constitué par la juxtaposition d’environ 150 assemblages, placés verticalement dans une cuve de 4 mètres de diamètre en acier très épais. Dans chaque assemblage, un certain nombre d’emplacements de crayons de combustible sont en fait occupés par des tubes où peuvent coulisser des tiges faites d’un matériau qui absorbe les neutrons (à base de cadmium en général). Ces tiges sont regroupées en « grappes » de contrôle au moyen d’« araignées » en partie supérieure ; il y a 53 ou 61 grappes suivant la puissance du réacteur (900 ou 1300 MWé). Chaque grappe est solidaire d’une tige que l’on peut déplacer par un dispositif électromécanique. Cette tige traverse le couvercle de la cuve pour pénétrer à l’intérieur d’un « carter » fixé de façon étanche sur ce couvercle. Ainsi, chaque couvercle de cuve de PWR est hérissé de dizaines de carters verticaux d’1,5 mètre de haut, soumis eux aussi à la pression qui règne à l’intérieur de la cuve (150 atmosphères). L’éjection d’une grappe hors du coeur se produirait en cas de rupture du carter correspondant. Il s’agirait d’un accident très grave, c’est pour quoi un soin extrême est apporté à la fabrication de ces carters, constitués chacun d’une seule pièce en acier inoxydable forgé, et testés à 280 atmosphères. De plus, pour réduire au maximum les conséquences de l’accident, les barres de contrôle pénètrent très peu à l’intérieur du coeur en fonctionnement normal ; ainsi, l’éjection d’une grappe augmenterait relativement peu le coefficient de multiplication (normalement égal à 1) de la réaction en chaîne. Cependant, il peut arriver que l’on doive les insérer davantage. Une insertion limite est définie en fonction du niveau de puissance ; les grappes sont réunies en groupes, et la position de chaque groupe est indiquée visuellement en salle de contrôle. Si un groupe atteint un niveau trop bas, ou si une grappe dévie de son groupe, des alarmes sonores et visuelles se déclenchent. Ces précautions sont à la fois rassurantes, puisqu’elles montrent que le problème est pris en compte, et inquiétantes, puisqu’elles rappellent la possibilité d’explosion d’un réacteur à eau ordinaire [...] illustrée [par cet accident du] 3 janvier 1961.
Extrait du livre : Les jeux de l’atome et du hasard,
de Jean-Pierre Pharabod et Jean-Paul Schapira,
Editions Calmann-Lévy, 1988.
* Pour en savoir plus sur le fonctionnement et les dangers des réacteurs nucléaires, lire (le document datant de plus de 30 ans, donc d’avant Three Mile Island et Tchernobyl) mais toujours d’actualité : "Electronucléaire : Danger".
www.dissident-media.org/infonucleaire
infonucleaire
Création de l'article : 31 janvier 2011
Dernière mise à jour : 31 janvier 2011
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