L’ADN, un des matériaux de base de la révolution nanotechnologique
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/66823.htm
Dans son témoignage devant la commission parlementaire pour la science le
14 avril dernier, James Tour, professeur à la Rice University de Houston,
insistait sur le changement de paradigme que les nanotechnologies peuvent
entrainer dans la fabrication des produits [1]. Maitriser la matière à
l’échelle des molécules permet en effet d’envisager des processus de
fabrication bottom-up, dans lesquels les matériaux s’auto-assemblent de
manière déterminée afin de produire des objets aux fonctionnalités
ciblées. Cette vision est soutenue par le fait que les organismes vivants
sont la preuve que de tels processus de fabrication auto-organisée sont
possibles. Reste maintenant à les maitriser.
Les chercheurs s’intéressent ainsi de près à la molécule qui commande cet
auto-assemblage naturel : l’ADN. Des milliards d’années d’évolution ont
permis d’améliorer cette molécule pour lui apporter des avantages qui en
font un matériau extrêmement intéressant dans la quête de la création de
nano-objets auto-assemblés. Par leur nature, des objets à base d’ADN sont
par exemple biocompatibles, un net avantage sur leurs concurrents
synthétiques. Ils sont aussi facilement manipulables. Ils permettent
d’envisager des interactions avec la machinerie cellulaire et donc des
applications biomédicales.
Depuis que Paul Rothemund de Caltech a inauguré en 2006 le domaine de
"l’origami d’ADN" en prouvant que l’on peut manipuler des brins d’ADN afin
de produire des nano-objets en deux dimensions, les travaux se sont
multipliés [2-4]. Retour sur les dernières réalisations aux Etats-Unis.
De la 2D à la 3D
La découverte a fait la une du magazine Science le 14 avril dernier. Une
équipe de chercheurs de l’Arizona State University (ASU) est parvenue à
produire des nano-objets complexes en trois dimensions formés de brin
d’ADN [5]. L’origami d’ADN a alors atteint un niveau de complexité
inégalé. Ces exploits ont été possibles suite à des efforts intenses pour
arriver à courber la molécule d’ADN avec des angles donnés.
La technique se base sur le fait que la molécule d’ADN est composée de
deux brins complémentaires. Les quatre bases azotées qui s’enchainent sur
le brin se conjuguent deux à deux. Pour obtenir les formes voulues, il
faut composer différents brins avec des séquences de bases déterminées. Un
long brin va servir de support à la forme pendant que d’autres brins plus
courts - appelés brins agrafes - vont venir compléter le brin principal et
lui imposer des connexions ou des courbatures qui seront à l’origine de la
forme finale. Il s’agit donc de définir avec précisions tous les blocs de
ce jeu de légo puis de bénéficier du fait que les brins s’auto-assemblent
entre eux en fonction de leur complémentarité.
Le passage de la 2D à la 3D n’était pas évident. Les deux brins
complémentaires d’ADN s’enroulent l’un autour de l’autre pour prendre une
forme de double hélice. Les bases azotées se liant deux à deux viennent
former les barreaux sur cette double hélice. Et il se trouve que
l’espacement entre ces barreaux est très bien calibré : 10,5 couples de
bases par tour d’hélice. Or, pour former des objets en trois dimensions,
il faut jouer en partie sur cet écartement en imposant des variations de 9
à 12 couples de bases par tour. C’est sur ce point que l’équipe d’ASU a
porté ses efforts afin de créer différentes formes : coupoles, sphères,
ellipsoïdes. Les chercheurs sont mêmes allés jusqu’à produire un objet en
forme de bouteille pour démontrer la robustesse de leur approche et ses
capacités. Une vidéo produite par l’équipe illustre leur approche [6].
Les besoins en simulation
Pour pouvoir réaliser des formes déterminées, il faut être capable de
concevoir avec précisions les briques élémentaires de ce légo, notamment
les brins agrafes, pour parvenir aux différents effets de courbure ou de
liaison. Comme il existe une infinité de possibilités pour produire des
brins, seule l’aide des logiciels de simulation peuvent permettre
d’obtenir rapidement des résultats fiables. L’équipe d’ASU travaille donc
sur la production de tels logiciels permettant d’assister les chercheurs
dans la création des différents brins. Mais ils ne sont pas les seuls.
Une équipe du Massachussetts Institute of Technology (MIT) a mis au point
un tel logiciel. Celui-ci permet de déterminer dans les grandes lignes la
forme qui sera obtenue à partir d’un mélange donné de brins d’ADN. Le
logiciel apporte aussi aux chercheurs des données sur la flexibilité de la
forme obtenue ainsi que sur sa stabilité. Mais l’objectif de l’équipe est
de parvenir un jour à proposer un logiciel résolvant le problème inverse.
A partir d’une structure donnée en trois dimensions, le programme
fournirait alors le mélange et la composition des brins d’ADN nécessaire à
sa réalisation. Leurs travaux ont été publiés en février dernier dans la
revue Nature Methods [7].
Si un tel logiciel existait, il permettrait à des chercheurs non-initiés à
l’origami d’ADN de produire des structures données et de se concentrer sur
les applications. Parmi celles-ci, l’énergétique au travers de la
production d’une machinerie moléculaire capable de reproduire les
différentes étapes de la photosynthèse est évoquée. Mais se sont les
applications médicales qui apparaissent pour le moment comme plus
évidentes.
Les applications médicales de l’origami d’ADN
Une fois les nano-objets à base d’ADN produits, ces derniers peuvent être
utilisés pour transporter des médicaments directement au coeur des
cellules. Une équipe de la Cornell University a présenté récemment un tel
processus [8]. Les échafaudages construits à base d’ADN par les chercheurs
peuvent supporter simultanément le transport de différentes molécules
chimiques, un avantage par rapport aux autres vecteurs synthétiques
utilisés : les nanoparticules synthétiques à base de polymères ou les
liposomes à base de lipides.
Dans la technique de cette équipe, trois brins d’ADN sont associés pour
former une structure de base en forme de "Y" à laquelle les molécules
médicaments de différentes natures vont être accrochées. Une fois en
solution, ces briques élémentaires s’associent pour former une sphère
ayant un diamètre de quelques centaines de nanomètres à quelques microns.
Cette taille et le fait que ces particules sont constituées de matériaux
reconnus par les cellules permet leur assimilation rapide. Ces nouveaux
vecteurs à base de brins d’ADN ont été baptisés "DNAsomes" par les
chercheurs.
Ces travaux démontrent ainsi que les nano-objets issus de l’origami d’ADN
sont des candidats aux fortes potentialités dans le transport vers des
cellules cibles de médicaments ou d’agents de contraste permettant
l’imagerie médicale de précision. Les méthodes de production de ces
nano-objets d’ADN ouvrent donc d’importants débouchés dans le traitement
d’un large éventail de maladies.
Un processus de fabrication de nanotubes d’ADN breveté
Un brevet validé le 19 avril dernier vient témoigner de l’intérêt
commercial de ces techniques d’origami d’ADN [9]. Une équipe de
l’Université de Floride a ainsi déposé sa méthode de fabrication de
nanotubes d’ADN ainsi que quelques uns de leurs designs. La facilité avec
laquelle les nano-objets à base d’ADN peuvent être modulés pour interagir
avec différents système attise les convoitises. Il y a fort à parier sur
le fait que le développement de l’origami d’ADN conduira dans les
prochaines années à de nombreuses applications en médecine, énergétique ou
encore électronique.
[1] Le National Nanotechnology Initiative auditionné par la Chambre des
Représentants, BE Etats-Unis 245, V. Reillon, 02/05/2011 -
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/66560.htm
[2] Pliage et auto-assemblage de l’ADN pour créer des nanostructures, BE
Etats-Unis 28, R. Delville, 30/03/2006 -
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/32832.htm
[3] Folding DNA to create nanoscale shapes and pattern, Nature, Vol 440,
P. Rothemund, 16/03/2006, |doi:10.1038/nature0458 -
http://www.dna.caltech.edu/Papers/DNAorigami-nature.pdf
[4] Origami d’ADN et nano-échafaudages, BE Etats-Unis 198, T.
Biedermann, 05/03/2010 -
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/62521.htm
[5] DNA Origami with Complex Curvatures in Three-Dimensional Space, D.
Han et al., Science,
Vol. 332 no. 6027 pp. 342-346, DOI : 10.1126/science.1202998, 15/04/2011 -
http://www.sciencemag.org/content/332/6027/342.abstract
[6] Vidéo sur la fabrication des nano-objets en 3D :
http://asunews.asu.edu/20110414_video_nanospheres
[7] A primer to scaffolded DNA origami, C. Castro et al., Nature Methods
8, 221-229, doi:10.1038/nmeth.1570, 25/02/2011 -
http://www.nature.com/nmeth/journal/v8/n3/full/nmeth.1570.html
[8] DNAsomes : Multifunctional DNA-Based Nanocarriers, Y. Roh et al.,
Small, Volume 7, Issue 1, pages 74-78, DOI : 10.1002/smll.201000752,
03/01/2011 -
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/smll.201000752/abstract
[9] Le Patent 7 928 208 -
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/YBwDl
Source : - New DNA nanoforms take shape, ASU News, R. Harth, 13/04/2011 -
http://asunews.asu.edu/20110414_nanoforms
Origami : Not just for paper anymore, MIT News Office, A. Trafton,
27/04/2011 - http://web.mit.edu/newsoffice/2011/dna-origami-0427.html
’DNAsomes’ can deliver multiple drugs or genetic therapy, Cornell
University News, B. Steele, 21/04/2011 -
http://www.news.cornell.edu/stories/April11/DNAsomes.html
New patent : Template-synthesized DNA nanotubes, Nanowerk News,
06/05/2011 - http://www.nanowerk.com/news/newsid=21255.php