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Les Jeux Olympiques et paralympiques de Londres sous le spectre de Bhopal, la vision du Napalm, et le fantôme de l’Agent Orange

lundi 19 mars 2012

L’affaire couva durant l’année 2011. Les Jeux Olympiques et paralympiques (handisport) aspirent à l’épanouissement des corps et des esprits… Sponsor officiel majeur de l’idéal olympique : Dow Chemical, fabricant du Napalm*, de l’Agent Orange** (principal fournisseur des agents utilisés lors de la guerre chimique américaine au Viêt Nam), devenu juridiquement responsable de la catastrophe de Bhopal*** suite à l’acquisition d’Union Carbide.

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Les accords

Les Jeux olympiques de Londres et la catastrophe de Bhopal font des étincelles, avec en fond l’histoire entre l’Inde et l’Empire britannique.

Durant l’année 2011, les journaux anglais en parlèrent puis, plus largement, les médias anglophones. En France, la nouvelle était loin de faire la une. Cependant, elle restait accessible à quelques initiés, tels les visiteurs du site d’Amnesty International, par exemple. Contrairement au discours de la diplomatie – activité lige du commerce mondial – il semblerait même que notre Histoire ne soit en rien liée à celle du Viêt Nam, pas plus que la Guerre américaine qui s’en suivit aurait un quelconque rapport avec la perle de l’Empire colonial français d’alors… Londres est si loin de Paris.

Les J O ont une telle importance pour l’image du pays organisateur et la finance internationale qui gravite autour qu’ils se sont dotés d’un pare-feu : le Comité d’éthique olympique. Mais heureusement qu’existent des associations et des guetteurs, des lanceurs d’alertes fouteurs de sable dans les rouages.

Tout d’abord, l’Association des victimes de Bhopal, vent debout, demande au gouvernement indien et aux athlètes de leur pays de ne pas participer aux Jeux de Londres ayant pour sponsor officiel le géant de la chimie Dow Chemical (Dow). Avec l’achat d’Union Carbide, cette multinationale est devenue (malgré un premier règlement) juridiquement responsable de la mort de 35 000 des leurs, et de 100 mille contaminés développant des maladies atroces.

Dans le même temps, le président de l’Association des victimes vietnamiennes de l’Agent Orange/Dioxine (VAVA) écrit une lettre à l’attention de son homologue du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et paralympiques de Londres (The London Organizing Committee for the Olympic Games and parolympic games Ltd (LOCOG) ) pour lui rappeler qu’à l’heure actuelle le Viêt Nam compte 3 millions de victimes de l’Agent Orange dont Dow fut, avec Monsanto, le principal fabricant et fournisseur.

Elle restera lettre morte.

Une nouvelle missive d’indignation du président de VAVA, Nguyen Van Ring, datée du 30 novembre est expédiée à Len Aldis (secrétaire général de l’Association d’amitié britannique avec le Viêt Nam, et membre du CIS) qui la remet en main propre au bureau du président du Comité olympique, Lord Sebastian Coe, au n° 100 de la Place Churchill. En voici copie :

THE VIETNAM ASSOCIATION FOR VICTIMS
OF AGENT ORANGE/DIOXIN (VAVA)

35 Ho Me Tri Road
Nhan Chinh Ward
Thanh Xuan District
Hanoi. Vietnam

To : The Olympic Organising Committee
and the London Paralympics Games 2012 (LOCOG)
Unit 2A, St Pancras International
Pancras Road
London. NW1 2QP

Hanoi, November 30 th 2011

Dear Olympics and Paralympics Organisers,

On behalf of more than 300,000 members of the Vietnam Association for the Victims of Agent Orange/Dioxin (VAVA) and three millions of victims of Agent Orange in Vietnam, I write to ask that you drop Dow Chemical Company as a sponsor of the Games to be held in London in 2012.

The Olympics and Paralympics games stand for the triumph of the human mind and body as athletes engage in competition. Dow Chemical, however, has and continues to violate this spirit by manufacturing deadly chemicals that destroy the human body and mind.

Despite public outcry from people in many countries around the world, Dow refuses to compensate its victims and clean up the lands it despoils. We feel it is incumbent upon the organisers to refuse a sponsor responsible for such misery and environmental devastation.

In our country, during the Vietnam War, from 1961 to 1971, Dow was one of the main chemical companies that produced and supplied toxic chemicals to the U.S. military for use in South Vietnam. These herbicides collectively called Agent Orange contain Dioxin, one of the most toxic poisons known to science. Dow and the other companies deliberately made Agent Orange with high levels of Dioxin to maximise its profits, even though it knew it could seriously devastate the ecology and environment in Vietnam, and harmed many Vietnamese people. Millions have died and many others left writhing in pain from lethal diseases. Several hundred thousand children have been born with serious birth defects.

It is ironic that Dow is allowed to sponsor sporting events including Paralympics athletes when it is responsible fro creating three generations of severely disabled children and refuses to do anything to help them.

For decades, American, European and international public opinion have denounced Dow’s immoral actions and their violations of international law demanding that it and the other companies compensate the victims of Agent Orange, not only in Vietnam but also in the USA, Canada, Australia, New Zealand and Korea.

Allowing such a company to sponsor the Olympics/Paralympics – a cultural event of global magnitude, is an affront to the conscience of humankind. Such sponsorship offers an incentive to commit other misconducts.

For the sake of the Olympic ideal, we urge you to drop Dow Chemical as a sponsor of these events.

Respectfully

Nguyen Van Rinh
Member of National Assembly. Vietnam
President.
VAVA

Et toujours pas de réponse.

Car maintenant il est urgent pour la LOCOG de limiter les choses à l’affaire Bhopal et de la circonscrire au plus vite, ignorant à tout prix le tonneau percé des Danaïdes.

Il ne vous a pas échappé que la LOCOG est une société privée, donc maîtresse de ses décisions. Ce contrat avec le sponsor majeur Dow porte sur 336 panneaux publicitaires géants faisant partie du revêtement extérieur du Stade olympique sur son périmètre de 900 m (décision prise à Genève en 2010).

Mais les activistes ont jeté le trouble, et probablement attaqué l’ignorance crasse de la société privée organisatrice. Cependant, elle s’entête et se range au côté de Dow, déclarant qu’il s’agit d’une entreprise de « bonne gouvernance », et que Dow n’est impliquée en aucune façon dans la catastrophe de Bhopal.

L’Association olympique indienne (IOA) demande alors au Comité international olympique (CIO) la rupture du contrat de parrainage avec Dow. Le CIO rejette cette demande et affirme à son tour « la bonne gouvernance d’entreprise » du sponsor Dow. Visiblement les victimes comptent peu face aux intérêts considérables qu’engendrent les J O.

Mais le gouvernement indien enfonce le clou et annonce que, si Dow est maintenu parrain, ses athlètes boycotteront les Jeux olympiques de Londres. De son côté, le gouvernement vietnamien qui effectue un rapprochement sans précédent avec les USA pour contenir l’expansionnisme chinois (îles Paracels, et Spratley), garde un silence gêné, et gênant. L’ombre d’un boycott plane et s’étend sur les futurs Jeux, car si les victimes de Bhopal incombent juridiquement à Dow depuis l’achat d’Union Carbide, l’acquéreur a aussi ses victimes en propre de par le monde. Et voici que celles du Viêt Nam sortent le fantôme bien réel de l’Agent Orange, invitant de fait celles du Laos à en faire autant, comme celles du Cambodge, de Nouvelle-Zélande, de Corée du Sud, d’Australie, du Canada, et des États-Unis…. Des pays importants dont l’absence enlèverait l’intérêt même de ces olympiades, car bien que Dow soit une transnationale étasunienne, l’affaire des vétérans US victimes de l’Agent Orange n’est jamais complètement réglée et rebondit périodiquement. De plus, ces anciens du Viêt Nam se déclarent solidaires des victimes des autres pays, alliés comme ancien ennemi. La crainte de propagation est évidente, et la récente menace de boycott de l’Inde risque de générer une montée de contestation dans les pays, et ils sont légion à être concernés par une contamination aux produits toxiques du sponsor majeur de ces JO. Le prochain qui emboîterait le pas de l’Inde pourrait faire tomber tous les dominos…

Voici un lien permettant de se faire une idée du nombre de pollutions générées par Dow dans le monde : http://fr.transnationale.org/entreprises/dow_chemical.php
(cliquer en bas de la page sur l’onglet vert Impact environnemental qui ouvre pas moins de 46 600 occurrences)

Si bien qu’à la mi-décembre 2011, la LOCOG annonce renoncer à Dow. Par la suite, le géant de la chimie dira que c’est lui qui s’est retiré. Ainsi la face de chacune des parties est sauve.

Mais qu’en est-il en sous-main ?

Parallèlement à la LOCOG, existe une organisation indépendante : la « Commission Londres durable » (CSL). Ses pouvoirs sont limités. Mais à l’intérieur de celle-ci se trouve une femme, écologiste (en partie bénévole), Meredith Alexander. Or, le jeudi 26 janvier 2012, elle démissionne publiquement de son poste de commissaire. Pourquoi ? Nommée par le maire de Londres, Boris Johnson : la presse fait donc un large écho à cette initiative.
« J’ai le sentiment que la Commission et les organisateurs des JO se risquent à faire l’apologie de Dow Chemical. Ils répètent et rendent légitimes les affirmations de Dow qui nie toute responsabilité dans la tragédie de Bhopal », déclare Meredith Alexander. Et ajoute qu’il lui était devenu « inacceptable de faire partie d’un comité qui soutenait publiquement Dow ».

Et si toute cette affaire était sortie trop tôt… ?

Le véritable bénéfice de Jeux olympiques et paralympiques parrainés par Dow n’aurait-il pas été de laisser le diable se brûler à son fourneau, avec des manifestations de victimes venues des quatre points cardinaux de la planète pour révéler, sur site et en direct devant les médias du monde entier, ces drames civils et ces crimes de guerre, permettant d’alerter l’opinion publique internationale afin que justice soit rendue ?

Nous ne le saurons peut-être jamais… mais travaillons-y !

Simultanément, le procès collectif intenté par les habitants de la ville de Nitro (État de Virginie-Occidentale, USA) contre Monsanto, trouvait un dénouement. Une entente à l’amiable qui n’est pas sans rappeler celle de 1984 entre les chimistes et les vétérans étasuniens victimes de l’Agent Orange durant la guerre du Viêt Nam. En effet, l’accord de Nitro prévoit que Monsanto créera un fonds de 84 millions de dollars pour couvrir les soins médicaux des plaignants durant 30 ans. Puis, 9 autres millions de dollars s’ajouteront pour assainir les habitations situées dans les zones exposées et contaminées (provoquant des cancers) par l’usine de fabrication d’Agent Orange entre 1949 et 1971, fournissant l’Armée étasunienne pendant la guerre du Viêt Nam. Encore une façon d’éviter la condamnation, c’est à dire d’établir un précédent (un « standard »), empêchant ainsi une jurisprudence pouvant bénéficier aux autres victimes. Une occasion aussi de remarquer la différence des sommes allouées à l’amiable aux Étasuniens comparativement à celles accouchées aux forceps pour les Vietnamiens…

* Nom dérivé de la contraction de naphtalène et de palmitate : essence solidifiée au moyen du palmitate de sodium (ou d’aluminium), développée pour les lance-flammes et les bombes incendiaires au cours de la seconde guerre mondiale. Au contact de l’air, le napalm (NP) se liquéfie en un gel qui adhère aux surfaces sur lesquelles il est projeté en brûlant à une température de 900 à 1300°C pour le NP1 utilisé en Allemagne et au Japon. Le NP2, additionné de magnésium et de phosphore et utilisé plus tard en Corée et au Viêt Nam, atteint une température supérieure, de 1500 à 2000°C.

**Mélange liposoluble contenant une part d’esters n-butyl d’acide 2,4-dichlorophénoxyacétique (2,4-D) pour une part d’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique (2,4,5-T), ce dernier étant contaminé par la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine (TCDD). Il fut utilisé de janvier 1965 à avril 1970 (officiellement). L’Agent Orange II (dit Super Orange), utilisé en 1968 et 1969 est lui aussi contaminé par la dioxine TCDD.

*** Ville indienne où survint l’accident industriel du 3 décembre 1984. L’explosion d’une usine Union Carbide (rachetée par Dow Chemical) de pesticides libérant de l’isocyanate de méthyle (CH3-N=C=O) dans l’atmosphère. Cette catastrophe tua officiellement 3500 personnes, mais fit en réalité 20 à 25 000 morts et environ 100 mille personnes furent contaminées, développant des pathologies.

André Bouny constitue et conduit le Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange (CIS), auteur de « Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam », Éditions Demi-Lune, Paris, 2010.
http://www.editionsdemilune.com/agent-orange-apocalypse-viet-nam-p-33.html

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