Les Faucheurs volontaires prennent pour cible des tournesols "mutés"
LE MONDE | 05.09.2012 à 16h17 Par Stéphane Foucart
Les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont-ils discrètement changé
d’appellation ? C’est l’opinion des Faucheurs volontaires qui ont mené,
dimanche 2 septembre, plusieurs fauchages partiels dans la Drôme et
l’Isère, ciblant deux variétés de tournesol obtenues par mutagenèse,
rendues résistantes à un herbicide, le premier commercialisé par BASF,
le second par Pioneer.
Les Faucheurs entendaient protester contre le développement de cultures
qui sont, selon eux, assimilables à des cultures transgéniques, sans
pour autant être soumises au même régime d’autorisation de mise sur le
marché et d’étiquetage. Dans un communiqué rendu public le jour de leur
action, les Faucheurs disent vouloir attirer l’attention sur le fait
"qu’une partie importante des surfaces de tournesol de la région
(Rhône-Alpes) a été semée avec des variétés mutées (...), véritables OGM
qui ne disent pas leur nom".
La mutagenèse, un succédané de la transgenèse ? Les végétaux dits
"mutés" sont-ils des OGM ? L’Union française des semenciers (UFS) récuse
l’amalgame. "La mutagénèse utilise un phénomène naturel, mis à profit
depuis les débuts de l’agriculture pour sélectionner des variétés en
fonction de leurs propriétés", répond Emmanuel Lesprit, directeur de la
réglementation et de l’innovation à l’UFS. Ce phénomène est
l’accumulation de mutations génétiques accidentelles et aléatoires,
d’une génération sur l’autre ; il est à la base de l’évolution des espèces.
Il est possible d’induire et d’accélérer ce processus en laboratoire, en
soumettant les végétaux à des rayons X, à des rayonnements ultraviolets
(UV) ou à des agents chimiques. En contraignant ainsi à un taux élevé de
mutations génétiques un grand nombre de plants, la probabilité devient
forte que l’un d’eux développe les caractéristiques recherchées.
LA FNSEA A CONDAMNÉ LES FAUCHAGES
"Sans ajouter de gènes extérieurs à la plante [comme c’est le cas pour
la transgenèse], ajoute M. Lesprit, il est ainsi possible d’obtenir des
variétés de plantes pourvues de caractères nouveaux, comme un changement
de la texture des fruits, de la couleur des fleurs ou encore une
résistance à des parasites ou à des herbicides."
La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)
a condamné les fauchages. Au contraire, Philippe Collin, porte-parole de
la Confédération paysanne, estime que "les plantes issues de la
mutagénèse devraient logiquement être évaluées comme des OGM".
A l’UFS, on explique que les variétés de tournesol ciblées sont
utilisées pour lutter contre l’ambroisie — une plante invasive et
allergène — très présente dans la région. Une fausse solution pour M.
Collin, pour qui le développement de tournesol muté résistant à des
herbicides déjà homologués sur d’autres cultures, "va intensifier leur
utilisation, ce qui conduira à l’émergence de résistances chez
l’ambroisie et les autres adventices [mauvaises herbes]".
Une expertise collective, menée par l’Institut national de la recherche
agronomique (INRA) et le CNRS, a mis en garde contre cette perspective.
De fait, en Amérique du Nord, le développement massif de cultures
transgéniques dites "Roundup Ready", et de l’herbicide associé, conçu
par Monsanto, s’est soldé, en plus d’une décennie, par l’apparition de
résistances parmi les mauvaises herbes. Aux Etats-Unis et au Canada, la
gestion de ces "super-adventices" est devenue très problématique.
Cependant, rétorque-t-on à l’UFS, l’ensemble de la filière (semenciers,
agrochimistes et instituts techniques agricoles) s’est engagée à
respecter un plan supervisé par le ministère de l’agriculture, destiné à
n’utiliser de variétés mutées résistantes qu’en cas de réelle nécessité.
"CONTRÔLE LÉGAL" DES SEMENCIERS SUR LES SEMENCES
Mais au-delà du cas spécifique des variétés résistantes à des
herbicides, le développement de la mutagenèse apparaît, aux yeux des
Faucheurs comme à ceux de la Confédération paysanne, comme un moyen mis
en oeuvre par les semenciers pour asseoir leur "contrôle légal" sur les
semences, au détriment des agriculteurs.
Un sujet sensible depuis la condamnation, en juillet, par la justice
européenne, de l’association Kokopelli, spécialisée dans la vente de
semences de variétés anciennes et "libres de droits", attaquée par un
semencier français pour concurrence déloyale. Une loi, votée fin 2011,
renforce les droits de propriété des semenciers sur les semences, au
détriment des agriculteurs. Certains d’entre eux craignent d’être
progressivement privés du droit de replanter, d’une année sur l’autre,
une part de leur récolte.
Stéphane Foucart